La participation des femmes à la vie publique et politique en Tunisie au niveau local
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La participation des femmes à la vie publique et politique en Tunisie au niveau local
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<p style="text-align: center;"><em>Article proposé et préparé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée (FFEM)</em></p> <p style="text-align: center;"><strong>Date de publication: 21 décembre 2018</strong></p> Table des matières
<h3><span style="color: #3fa7e8;"><strong>Introduction</strong></span></h3> Il existe encore à l’échelle mondiale une sous-représentation structurelle des femmes dans le champ politique traditionnel, y compris dans les postes à responsabilité. En Tunisie, malgré un engagement de longue date des femmes au sein de mouvements féministes et dans la société civile, celles-ci restent sous-représentées dans de nombreux secteurs de la vie sociale et politique et particulièrement dans les partis politiques et les syndicats. À cet égard, il convient de se pencher sur les raisons de cette discrimination à l’envers des femmes. Cet article s’intéresse à la participation politique des femmes en Tunisie en s’appuyant principalement sur deux diagnostics de terrain, l’un à Douar Hicher (banlieue de Tunis) <strong>[1],</strong> et l’autre dans les villes de Monastir et de Sousse<strong> [2]</strong>. Ces études ont été produites par les associations<strong> Chemin de la Dignité – Tarik Al Karama (ACD) </strong>et <strong>Voix de la femme à Jemmel (VFJ)</strong> en collaboration avec la <strong>Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée (FFEM)</strong> et l’<strong>Institut européen de la Méditerranée (IEMed)</strong>. <img class=" wp-image-12941" src="https://www.wikigender.org/wp-content/uploads/2018/12/2.Chemin-dignité.jpg" alt="" width="709" height="469" /> Les acteurs locaux débattent sur la participation des femmes à la vie publique et politique à Douar Hicher. © Association Chemin de la dignitéEn effet, la FFEM a pour vocation d’analyser au niveau local les réalités des femmes et les politiques publiques qui les concernent à l’aide de consultations et de dialogues de proximité. Pour ce faire, la FFEM met en place annuellement des <strong>pôles locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes</strong> en Algérie, Égypte, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine et Tunisie (1 par pays). Leur mission est de mobiliser les acteurs de l’égalité au moyen d’activités de collectes de données, de consultations et d’échanges d’expériences dans le but d’analyser un thème prioritaire pour la réalisation des droits des femmes et de faire un suivi de l’effectivité des politiques publiques dans ce domaine avec une approche participative. Toutes les informations liées aux résultats des pôles locaux sont disponibles sur <a href="http://www.euromedwomen.foundation/">www.euromedwomen.foundation</a>, et font l’objet d’une vaste diffusion dans la région euro-méditerranéenne. En 2017 et 2018, l’ACD et VFJ ont été chacune chef de file d’un pôle local d’acteurs de l’égalité femmes-hommes à Douar Hicher, et à Monastir respectivement. La fin des années 1970 voit l’émergence d’un féminisme autonome issu de la société civile qui se différencie des réformes en faveur des femmes promues jusqu’alors par l’État. Ce féminisme qui a pour slogan « Le nous par nous-même » devient un puissant réseau associatif qui dénonce avec force les discriminations basées sur le sexe persistantes, malgré tout, au niveau de la législation (inégalité d’accès à l’héritage, autorité maritale, etc.) et des représentations et pratiques sociales patriarcales. Il s’agit d’un mouvement de femmes actrices du devenir de leurs sociétés respectives, qui déconstruisent à l’époque, et encore aujourd’hui, le stéréotype de la « femme arabe soumise » <strong>[7]</strong>. Au cours de la révolution de 2010-2011 les femmes ont, là aussi, joué un rôle prédominant sur le terrain pour réclamer la préservation des acquis sociaux et de leur statut. Ainsi, lors des élections de l’Assemblée constituante de 2011, le principe de la parité et l’alternance femmes/hommes sur les listes électorales des partis sont instaurés, ce qui a fait de la Tunisie l’un des pays où le taux de femmes parlementaires est parmi le plus élevé dans le monde (24%) <strong>[8]</strong>. Pourtant, l’absence significative des femmes aux postes décisionnels reste un constat jusqu’à présent, malgré leur présence sur le terrain et leur contribution à la lutte pour les droits civils. Les femmes sont encore confrontées à des obstacles qui les empêchent d’atteindre les postes à responsabilité dans de nombreuses instances. Le chômage en Tunisie touche plus les femmes que les hommes. Ainsi, en 2018, le taux de chômage chez les femmes est de 22,7% contre 12,5% chez les hommes <strong>[10]</strong>. Les femmes représentent un faible pourcentage de la population active et elles sont plus affectées par l’analphabétisme. Chez les femmes en zone rurale, le taux d’analphabétisme s’élève à 41%, en particulier dans le nord-ouest, soit 30% de la population totale<strong> [11]</strong>. En effet, les écarts déjà profonds, se creusent encore davantage d’une région à l’autre ou entre ville et campagne comme le reflètent les taux de 2008 (20,1% dans les zones urbaines contre 42,8% dans les zones rurales) <strong>[12]</strong>. En ce qui concerne les écarts de salaire en 2016, les femmes sont toujours payées 14,6% de moins que les hommes <strong>[13]</strong>. En outre, la précarité et l’appauvrissement contraint les femmes à se préoccuper davantage de leurs revenus ou leur logement que de la vie politique ou militante. Ces données ne sont pas anodines. L’une des conclusions du diagnostic de terrain réalisé par l’association VFJ est que <strong>le statut des femmes en politique est étroitement lié à leur statut économique et social</strong>. En général, l’image traditionnelle des femmes et la répartition non équitable des rôles de genre est l’un des obstacles majeurs qui bloque la participation et la mobilisation féminine <strong>[14]</strong>. Ainsi, dans le quartier de Douar Hicher dans la banlieue de Tunis, bien que certaines femmes soient motivées à l’idée de se lancer dans des activités communautaires ou dans la politique et qu’elles soient conscientes des besoins de leur communauté, <strong>leur environnement ne tolère pas qu’elles aient des responsabilités </strong>au-delà des tâches domestiques et de leurs obligations professionnelles <strong>[15]</strong>. Les femmes sont ainsi associées à l’espace privé de dépendance et les hommes à l’espace public du pouvoir. Des facteurs tels que le faible niveau d’instruction des femmes, les responsabilités familiales, la résistance souvent manifestée du mari, et les pressions de la famille et du voisinage entravent notablement l’autonomisation des femmes. Sur le plan politique, les femmes sont souvent exclues des postes de prise de décision. Les hommes étant considérés comme des « leaders naturels », la participation des femmes dans la vie publique et politique est vue comme un « phénomène contre nature ». En outre, <strong>les partis politiques et les syndicats ne soutiennent pas assez activement la présence des femmes dans leurs rangs</strong> en dehors des périodes d’élections dans une logique souvent « intéressée » pour faire bonne figure. Certaines pratiques et comportements ne tiennent pas compte du facteur genre et ne s’adaptent pas à la réalité des militantes. Les activités et réunions programmées ont, par exemple, souvent lieu hors des locaux et à des heures tardives. Le fait que les femmes n’aient pas la même liberté de mouvement que les hommes (en raison des contraintes familiales et pour des questions de sécurité) est parfois utilisé à leur encontre pour les écarter des décisions. En outre, lorsque les femmes arrivent à occuper des postes à responsabilité dans des partis ou des syndicats, les attentes envers elles sont plus fortes, elles doivent faire leurs preuves et n’ont pas droit à l’erreur (ce phénomène entre dans la catégorie des violences symboliques). L’absence des partis politiques dans les quartiers populaires où se trouvent des femmes compétentes et parfois très actives dans des associations, et l’insuffisante formation et sensibilisation politique des femmes sont d’autres facteurs qui entrent en jeu. <strong>La violence basée sur le genre (VBG) contribue aussi à écarter les femmes de la vie publique, civile et politique</strong>. En 2010, l’Office national de la famille et de la population (ONFP) a montré que 47,6% d’un échantillon de 5,600 femmes ont déclaré avoir subi des violences, dont 21,2% dans l’espace public et sur leur lieu de travail <strong>[16]</strong>. Les femmes sont les plus ciblées par les violences verbales, physiques et morales, sous prétexte que « l’honneur de la famille repose sur elles ». Un dernier obstacle qui est ressorti des enquêtes et débats menés lors des deux diagnostics concerne l’insuffisante connaissance qu’ont les femmes de leurs droits en tant que citoyennes et le manque de confiance en leurs capacités. Comme dans les autres sociétés patriarcales, les femmes tunisiennes sont élevées de telle sorte qu’elles se sentent moins appréciées que les hommes, et dès leur plus jeune âge on cultive leur rôle maternel et reproductif en les encourageant à prendre soin des autres et à sacrifier leurs ambitions, contrairement à ce qui est enseigné aux hommes. Cela conduit les femmes à avoir une faible estime d’elles-mêmes, un défi considérable qu’il faut surmonter pour se lancer dans une carrière en politique. Les facteurs économiques, sociaux et politiques excluent les femmes de la gestion des affaires publiques et de la prise de décision. Malgré les acquis en termes de droits et les mesures adoptées pour favoriser l’accès des femmes aux élections et dans l’exercice du pouvoir local, les mentalités conservatrices et les stéréotypes sexués qui prônent que la politique est l’apanage des hommes demeurent largement. Ces croyances sont souvent relayées par les médias, où les femmes sont rarement interviewées pour intervenir sur des questions importantes pour le pays. Cela dénote encore davantage l’utilité du travail mené par les associations en termes de plaidoyer, de sensibilisation, de formation et d’accompagnement des femmes leaders pour atteindre une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans la vie publique locale. <strong>[2]</strong> ASSOCIATION VOIX DE LA FEMME À JEMMEL (VFJ), Diagnostic de terrain : La participation politique des femmes à Monastir et Sousse, FFEM et IEMed, 2017, <a href="https://docs.euromedwomen.foundation/files/ermwf-documents/7094_diagnosticparticipationpolitiquetunisiefr.pdf">https://docs.euromedwomen.foundation/files/ermwf-documents/7094_diagnosticparticipationpolitiquetunisiefr.pdf</a> <strong>[3]</strong> 20 mars 1956. <strong>[4]</strong> Code du statut personnel : <a href="http://www.e-justice.tn/fileadmin/fichiers_site_francais/codes_juridiques/Statut_personel_Fr.pdf">http://www.e-justice.tn/fileadmin/fichiers_site_francais/codes_juridiques/Statut_personel_Fr.pdf</a> <strong>[5]</strong> 20 ans pour les hommes, 17 ans pour les femmes, puis modifié en 1964 en instaurant 18 ans pour les deux sexes. <strong>[6]</strong> Avant le CSP, le consentement de la mariée n’était pas considéré comme nécessaire. Seul celui de son père suffisait. <strong>[7]</strong> ELBOUTI Mounira, « Leila Tauil revient sur le « siècle de combat » des féminismes arabes », <em>Le Monde arabe</em>, 15/10/2018, <a href="https://lemonde-arabe.fr/15/10/2018/leila-tauil-feminisme-arabe-maroc-tunisie/">https://lemonde-arabe.fr/15/10/2018/leila-tauil-feminisme-arabe-maroc-tunisie/</a> <strong>[8]</strong> VFJ. Op. cit., p. 13. <strong>[9]</strong> VFJ. Op. cit., p. 7 & DÉPARTEMENT d’ÉTAT des ÉTATS UNIS d’AMÉRIQUE. « <em>Rapport 2010 sur les droits humains : la Tunisie</em> ». Disponible sur : <a href="http://www.state.gov/j/drl/rls/hrrpt/2010/nea/154474.htm">www.state.gov/j/drl/rls/hrrpt/2010/nea/154474.htm</a> <strong>[10]</strong> Taux de chômage général : 15,4% ; masculin : 12,5% ; féminin : 22,7%. Source : Institut national de la statistique (INS) http://www.ins.tn/fr/themes/emploi <strong>[11]</strong> DEJOUI Nadia, « Tunisie : le taux d’analphabétisme est en hausse et atteint 19.1% », <em>L’économiste maghrébin</em>, 13/09/2018, <a href="https://www.leconomistemaghrebin.com/2018/09/13/analphabetisme-tunisie/">https://www.leconomistemaghrebin.com/2018/09/13/analphabetisme-tunisie/</a> <strong>[12]</strong> VFJ. Op. cit., p. 7. <strong>[13</strong>] HuffPost Tunisie avec TAP « Tunisie : Une femme doit travailler deux mois de plus pour gagner le salaire d’un homme sur une année selon une étude », <em>HuffPost Tunisie</em>, 22/12/2016, <a href="https://www.huffpostmaghreb.com/2016/12/22/egalite-salariale-hommes-_n_13792202.html">https://www.huffpostmaghreb.com/2016/12/22/egalite-salariale-hommes-_n_13792202.html</a> <strong>[14] </strong>VFJ. Op. cit., p. 8. <strong>[15] </strong>ACD. Op. cit., p. 15. <strong>[16]</strong> ONU FEMMES, Rapport National Genre Tunisie, 2015, <a href="https://eeas.europa.eu/sites/eeas/files/rapport_national_genre_tunisie_2015_fr.pdf">https://eeas.europa.eu/sites/eeas/files/rapport_national_genre_tunisie_2015_fr.pdf</a> |