Défis et progrès de la lutte contre la violence à l’égard des femmes en Algérie
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Défis et progrès de la lutte contre la violence à l’égard des femmes en Algérie
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<p style="text-align: center;"><em>Article proposé et préparé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro – Méditerranée</em></p> <p style="text-align: center;"><strong>Date de publication: 28 novembre 2019</strong></p> Table des matières
<h3>Introduction</h3> La violence contre les femmes (VCF) existe partout dans le monde. Elle affecte la santé physique et mentale des femmes, limite leur contrôle et leur jouissance de leur propre corps, leur capacité à participer à la société et leur présence dans les espaces publics [1]. Selon la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, la VCF comprend « tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée[2]. » Ce type de violence est non seulement perpétué par des personnes physiques, mais aussi par l’État. Bien que la Déclaration demande aux États de prendre les mesures nécessaires pour prévenir et punir les actes de VCF, ceux-ci constituent souvent une source d’insécurité pour les femmes: discrimination au travail, inégalité devant la loi, absence ou laxisme des lois qui punissent la violence de genre, etc. Ainsi, outre la violence directe, les femmes souffrent de violence structurelle qui, comme son nom l’indique, émane de structures qui nient la satisfaction des besoins. La violence directe et la violence structurelle sont soutenues et légitimés par la violence culturelle, qui se manifeste dans les attitudes de la société [3]. <img class="wp-image-24072 size-large" src="https://www.wikigender.org/wp-content/uploads/2019/11/shutterstock_214547947-min-1024×683.jpg" alt="" width="739" height="493" /> « Outre la violence directe, les femmes souffrent de violence structurelle qui, comme son nom l’indique, émane de structures qui nient la satisfaction des besoins ».En Algérie, comme dans le monde entier, ce grave problème conditionne l’existence et le quotidien de nombreuses femmes. Une étude de diagnostic coordonné par l’association Femmes en Communication (FEC) d’Alger examine la VCF en Algérie et les défis auxquels le pays doit encore faire face pour mettre fin à ce type de violence. L’étude, qui a pris comme exemple le cas de la wilaya d’Oran, indique aussi les progrès menés en vue d’une société plus égalitaire. Ce diagnostic a été élaborée dans le cadre du projet Pôles Locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes. Ce projet, lancé par l’IEMed en synergie avec la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée et financé par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (France), vise à autonomiser les acteurs et actrices locaux/les et diffuser leurs actions et conclusions au niveau international. Cet article se basera principalement mais pas uniquement sur le diagnostic du FEC pour, d’une part, exposer et commenter les obstacles et défis de la lutte contre la violence à l’égard des femmes en Algérie et, d’autre part, mettre en relief l’impact de la mobilisation sociale dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes, spécialement au niveau local. D’un côté, l’analphabétisme touche les femmes principalement. En 2008, dans les zones rurales, le taux de femmes analphabètes était deux fois plus élevé que celui des hommes (41% contre 21,8%). D’un autre côté, les conditions d’accès au travail sont également alarmantes: seulement 16,09% de la population salariée active sont des femmes. Même lorsqu’ils ont accès à un emploi, leur salaire ne représente en moyenne qu’un tiers de celui de leurs homologues masculins. En plus, les conditions de certains groupes de femmes est encore plus préoccupante : les mères célibataires sont victimes de stigmatisation et les femmes handicapées et les femmes migrantes subissent une double discrimination [6]. Ce retard en matière d’égalité femmes-hommes au niveau social, politique et juridique est dû, d’une part, aux réserves que l’Algérie maintient sur le CEDEF (articles 2, 9, 15, 16 et 18 qui concernent principalement le Code de la famille et qui sont contraires à la Constitution algérienne) [7] et, d’autre part, à la non-ratification de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples [8]. Les deux faits constituent un obstacle à la transformation de certaines lois et politiques nationales. Au niveau social, le rôle des médias est décisif. Le diagnostic de FEC montre que les médias constituent un obstacle majeur à l’égalité des sexes. Peu de femmes journalistes occupent des postes élevés dans le secteur de l’information. En plus, les contenus transmis sont encore pleins de messages misogynes qui demeurent ancrés dans l’imaginaire collectif de la société et qui nourrissent la violence structurelle et culturelle. En outre, selon le même diagnostic, le Gouvernement compte principalement sur les ONG indépendantes pour répondre aux besoins sociaux, juridiques et financiers des femmes victimes de la violence. Cependant, les ONG devraient être une source complémentaire de soutien à la société civil —aux femmes dans ce cas particulier— et non pas la source principale de bien-être et de garanties humaines. Cette responsabilité incombe en premier lieu aux États, qui ont le devoir de satisfaire ces besoins et d’autres qui pourraient compromettre la sécurité de leur population [9], non seulement du point de vue militaire traditionnel, mais surtout en termes de sécurité humaine. Néanmoins, ce n’est pas un hasard si l’État algérien s’appuie sur certains secteurs de la société civile pour combler les failles du tissu institutionnel en termes de droits et de prestations sociaux. Des auteurs et auteures tels que Louisa Dris-Ait Hamadouche parlent de cela en tant que stratégie de résilience du gouvernement pour préserver la stabilité du pays [10]. Pourtant, comme on expliquera plus tard, plusieurs associations qui oeuvrent pour la protection des groupes vulnérables et pour la défense de leurs droits, comme celles qui luttent contre la VCF, ont pu utiliser cette situation en leur faveur. La fin de ce conflit n’a pas diminué les restrictions imposées aux associations. Cependant, des milliers d’associations avaient déjà été créées et ont continué de l’être jusqu’à ce jour (91 102 associations enregistrées selon des données du ministère de l’Intérieur de 2018) [12]. Nonobstant, le type de relation que ces associations entretiennent avec le gouvernement conditionne leur travail [13]. Ainsi, on peut classifier les organisations de la société civile en trois courants: celles qui s’opposent ouvertement au régime (dont la marge de manoeuvre est très limitée et qui sont hors le cadre légal); celles de la périphérie qui indirectement remettent en cause la légitimité et la gestion des autorités; et, enfin, celles qui ont occupé le vide institutionnel en ce qui concerne les sphères sociale, culturelle et environnementale [14]. Celles-ci, auxquelles appartiennent les associations luttant contre le VCF, sont perçues par le gouvernement comme un outil de maintenance du système et non pas comme une menace. Mais le fait que les associations luttant contre le VCF aient adopté une attitude collaborative envers le gouvernement ne signifie pas qu’elles soient des marionnettes. En fait, elles utilisent cette stratégie pour exercer de la pression et promouvoir des changements dans les politiques publiques [15]. L’influence des associations sur les politiques publiques se produit principalement au niveau local et dans le secteur social, environnemental et éducatif [16]. Après le diagnostic, le pôle local d’Oran a conçu un projet de sensibilisation qui a engagé des journalistes, les administrations publiques et les acteurs locaux à placer à Oran un centre d’accueil et d’hébergement pour les femmes victimes de violences [17]. Par ailleurs, le travail du collectif Stop à la violence ! Les droits aux femmes maintenant est également remarquable. Il a été le promoteur des amendements du Code Pénal adoptés en 2015 criminalisant la violence verbale et le harcèlement sexuel dans les lieux publics. Après cela, d’autres associations ont lancé des campagnes de diffusion des modifications de la loi Ce le cas de l’Association de l’Information et de la Communication en milieu de jeunes de Guelma (INFO-COM Jeunes de Guelma), dont la campagne de plaidoyer (qui s’inscrit au cadre du projet CSO WINS de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée visant à renforcer les capacités des organisations de la société civile à effectuer une défense en faveur des droits des femmes) a atteint plus de 850 jeunes, ainsi que des médias locaux et nationaux comme El Watan, Annasr, Vitaminedz, etc. Elle a également encouragé les victimes à dénoncer cette forme de violence dans la province de Guelma, en Algérie [18]. Ensuite, INFO-COM Jeunes de Guelma a organisé trois rencontres de dialogue politique en avril 2019 dans trois villes algériennes différentes. Ces rencontres portaient sur les obstacles qui empêchent l’application réelle de la réforme du Code Pénal. Grâce à la mobilisation sociale, les pouvoirs locaux et les médias se sont engagés à promouvoir la sensibilisation et le dialogue autour de ce sujet [19]. D’autre part, les associations de la société civile œuvrant pour les droits des femmes ont réussi, par le biais de stratégies de collaboration avec le gouvernement, à influencer les politiques publiques, en particulier au niveau local. Grâce à la pression exercée par la mobilisation sociale, les administrations publiques et les médias ont adopté des stratégies de lutte contre le VCF. Malgré cela, il est urgent de modifier le Code de la famille afin que les lois internationales puissent être appliquées efficacement. Il serait également utile de ratifier la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. En outre, la loi doit obliger les médias à respecter la législation nationale et internationale relative à l’égalité des sexes. Enfin, si l’État ne compte pas répondre en première personne aux besoins des femmes victimes de violence, il devrait réduire les obstacles bureaucratiques imposés aux associations qui le font et leur offrir le soutien financier nécessaire pour accroître leur impact. |