Préférence pour les garçons en Asie de l’Est : Chine et Vietnam
Aperçu général
L’Asie de l’Est est l’une des régions les plus touchées par le phénomène de préférence pour les garçons. La Chine représentait à elle seule 57% des femmes manquantes dans le monde en 2010 (FNUAP, 2012). Au Vietnam, le phénomène est apparu tardivement mais a progressé rapidement dans les années 2000 (FNUAP, 2011).
Les ratios des naissances dans la région ont néanmoins tendance à être moins déséquilibrés ces dernières années (Centre de développement de l’OCDE, 2014), tandis que des réponses multisectorielles semblent émerger face à ce défi démographique et social.
Définitions de la préférence pour les garçons
Au début des années 1990, le Prix Nobel d’économie Amartya Sen estimait qu’il manquait environ 100 millions de femmes dans le monde en raison de traitements discriminatoires : avortements sélectifs, infanticides ou négligences expliqueraient ce déficit démographique (Sen, 1990).
En 2010, les chercheurs Nicola Jones, Caroline Harper et Carol Watson ont proposé une notion plus globale, la « préférence donnée aux garçons », prenant en compte l’ensemble des différentiels d’investissements et de soins reçus par les filles et les garçons depuis leur conception (Jones et al, 2010). Alors que les déséquilibres démographiques entre femmes et hommes concerneraient seulement certaines régions (l’Asie, le Caucase, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord), la préférence donnée aux garçons ainsi comprise serait beaucoup plus répandue.
Mesurer la préférence pour les garçons en Asie de l’Est
L’indicateur « Institutions Sociales et Égalité femme-homme » (SIGI en anglais) élaboré par le Centre de développement de l’OCDE (2014), classe la Chine et le Vietnam parmi les pays ayant un niveau de préférence pour les garçons très élevé, même si le nombre de femmes manquantes dans la région Asie de l’Est-Pacifique aurait globalement tendance à diminuer depuis 2012. En Chine, 118 garçons naissaient pour 100 filles en 2013, contre 121 garçons pour 100 filles en 2004 (FNUAP, 2015).
La sélection du sexe semble s’effectuer principalement par le biais d’avortements sélectifs. Selon une étude réalisée par des agences de l’ONU dans les zones rurales en Chine, 36% des femmes auraient reconnu avoir recours à cette pratique (OMS, 2011).
Alors que le phénomène de sélection du sexe a commencé en Chine dès les années 1980, celui ci s’est développé beaucoup plus récemment au Vietnam. Dans ce pays, le ratio était de 106 naissances de garçons pour 100 naissances de filles en 2000, une proportion alors considérée comme normale. Il s’élevait à 111.5 en 2014, soit une augmentation rapide et significative, même si celle-ci semble moins soutenue depuis environ cinq ans (FNUAP, 2015).
En Chine, la mortalité infantile restait bien plus élevée chez les filles de moins de cinq ans que chez les garçons du même âge, d’après une étude portant sur la période 2005-2010 (FNUAP, 2012a). En revanche, le Vietnam ne semblait pas affecté par une surmortalité infantile féminine (FNUAP, 2015).
En matière d’éducation, le taux de scolarisation en primaire était de 100% pour les filles et les garçons en Chine, et il était même légèrement supérieur dans le secondaire (UNICEF, 2012, cité par SIGI-Site web). Au Vietnam, les taux d’inscription à l’école primaire et secondaire étaient légèrement inférieurs pour les filles, mais les taux de présence étaient sensiblement les mêmes pour les deux sexes (UNICEF, n.d, cité par SIGI-Site web)
Causes du phénomène
La préférence pour les fils en Chine et au Vietnam est déterminée par des facteurs multiples (FNUAP, 2012a ; FNUAP, 2011 ; Jones et al, 2010) :
- L’existence de normes culturelles et familiales favorisant les garçons dans les sociétés confucéennes et patrilinéaires ;
- Les considérations économiques, les fils étant perçus comme une « assurance-vieillesse » pour les parents, alors que les filles représenteraient un fardeau;
- L’émergence de technologies reproductives modernes facilitant la sélection du sexe de l’enfant à naître ;
- Le déclin de la fécondité, particulièrement en Chine qui a appliqué jusqu’en 2015 une politique de l’enfant unique.
Conséquences sociales et démographiques
En Chine, des projections suggèrent que le nombre d’hommes célibataires cherchant à se marier pourrait dépasser le nombre correspondant de femmes célibataires de 60 % après 2030, et ce pour plusieurs décennies. (FNUAP, 2012).
Un tel déséquilibre démographique est susceptible d’engendrer des tensions sociales, de la violence sexuelle et une augmentation du trafic de femmes et de filles. On estime ainsi que 85 000 femmes Vietnamiennes auraient été « importées » dans des pays voisins (FNUAP, 2012b).
Surmonter la préférence pour les garçons : pistes pour les politiques publiques dans la région
La Chine et le Vietnam ont tenté d’interdire les avortements sélectifs et l’identification du sexe du fœtus, mais l’expérience montre que ces mesures ne suffisent pas. Des études récentes (FNUAP, 2011 ; OMS, 2011 ; FNUAP, 2012) plaident en faveur d’une approche multi-sectorielle pour répondre au défi de la préférence pour les garçons, en particulier :
- Le développement de codes déontologiques sur le recours aux technologies de sélection prénatale et leur diffusion au sein du secteur médical, ainsi que le renforcement des cadres juridiques existants en la matière (notamment l’exécution de sanctions pour les professionnels de santé enfreignant les règles) ;
- La promotion de systèmes de parenté plus égalitaires, les recherches indiquant que le patriarcat et la patrilinéarité seraient les principaux moteurs de la préférence pour les fils dans la région ;
- Des campagnes de plaidoyer et de sensibilisation des populations à grande échelle, mettant en valeur les filles et leur contribution à la société ainsi que l’impact néfaste des pratiques de sélection du sexe ;
- Des incitations économiques directes permettant de contrebalancer la perception que les filles représenteraient une charge financière pour leur famille.
Un exemple : le programme « Care for Girls » en Chine
Le programme “Care for Girls” lancé en 2003 en Chine est considéré comme l’une des plus vastes initiatives jamais entreprises pour répondre au défi de la préférence pour les garçons. Le programme est fondé sur une approche multisectorielle comprenant la diffusion de messages positifs sur les filles, des incitations économiques pour les parents, des subventions au logement et à la retraite pour les familles ayant des filles, et la promotion de mariages matrilinéaires. D’abord testé comme projet pilote, le programme a ensuite été mis en œuvre dans 24 comtés, avec des effets positifs sur les ratios filles-garçons à la naissance. Certaines évaluations pointent néanmoins le manque de soutien au niveau local dans certains comtés et les contradictions avec d’autres politiques sociales en vigueur, notamment sur la terre et les droits à l’héritage (OMS, 2011).
Références
Centre de développement de l’OCDE (2014), Social Institutions and Gender Index. 2014 Synthesis Report, Editions OCDE, Paris, www.genderindex.org/sites/default/files/docs/BrochureSIGI2015.pdf
Jones, N., Harper, C. et Watson, S. (2010), Stemming girls’ chronic poverty: Catalysing development change by building just social institutions, Chronic Poverty Research Center, Manchester, .chronicpoverty.org/publications/details/stemming-girls-chronic-poverty.
FNUAP (2015), Sex ratio at birth in Viet Nam: New evidence from the Intercensal Population and Housing Survey in 2014, UNFPA Vietnam, Hanoi, http://vietnam.unfpa.org/webdav/site/vietnam/shared/Publications%202016/SRB%20Booklet_ENG.pdf
FNUAP (2012a), Sex Imbalances at Birth: Current Trends, Consequences and Policy Implications, UNFPA Asia and the Pacific Regional Office, Bangkok, http://www.unfpa.org/publications/sex-imbalances-birth
FNUAP (2012b), Report of the International Workshop on Skewed Sex Ratios at Birth: Addressing the Issue and the Way Forward, Hanoi, Vietnam, 5-6 octobre, 2011, http://www.unfpa.org/sites/default/files/resource-pdf/Report_SexRatios_2012.pdf
FNUAP (2011), Son Preference in Viet Nam: Ancient Desires, Advancing technologies, UNFPA Vietnam, Hanoi, http://vietnam.unfpa.org/webdav/site/vietnam/shared/Publications%202011/Son%20preference%20in%20Vietnam_ENG_Final%20version%20for%20printing.pdf
OMS (2011), Preventing gender-biased sex selection: an interagency statement by OHCHR, UNFPA, UNICEF, UN Women and WHO, World Health Organization, Genève: http://www.unfpa.org/resources/preventing-gender-biased-sex-selection
Sen, A.K. (1990), December “More Than 100 Million Women Are Missing”, The New York Review of Books, December 20, 1990 Issue http://www.nybooks.com/articles/1990/12/20/more-than-100-million-women-are-missing/
Social Institutions and Gender Index – Site Web (n.d), Centre de développement de l’OCDE, consulté le 24 janvier 2016, http://www.genderindex.org/
Liens externes
ONU Femmes (2011), La “préférence aux garçons” perpétue la discrimination et les violations des droits des femmes – Elle peut et doit cesser, http://www.unwomen.org/fr/news/stories/2011/6/son-preference-perpetuates-discrimination-and-violations-of-women-s-rights-it-must-and-can-end#sthash.NkSHkYiS.dpuf
FNUAP – Site web (n.d.), Sélection prénatale du sexe, consulté le 4 janvier 2016, http://www.unfpa.org/fr/s%C3%A9lection-pr%C3%A9natale-du-sexe