Les impacts sexo-spécifiques de la pandémie du COVID-19 en Afrique de l’Est et Australe
Cet article a été écrit par Najwa Haska, Dual BA Sciences Po/Columbia University
Depuis le début de la pandémie du COVID-19, déclarée urgence sanitaire globale par l’Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, les problèmes socio-économiques ne font que s’exacerber en Afrique de l’Est et du Sud. Dans ce contexte, les femmes et les filles supportent le plus lourd fardeau. Connaissant d’emblée de nombreux défis (l’accès aux services de santé, à l’emploi, à l’autonomie corporelle et autres), elles font face actuellement à une pléthore de difficultés nouvelles. En effet, du fait des rôles socio-économiques différents des femmes et des hommes et des disparités existantes entre eux, l’impact de la pandémie sur les femmes se distingue de celui sur les hommes ; d’où toute l’importance de s’intéresser aux impacts genrés de la crise sanitaire en Afrique de l’Est et Australe.
Dans cet article, une attention particulière est accordée à quatre grandes conséquences sexo- spécifiques de celle-ci, à savoir : les impacts économiques de la pandémie, ses conséquences sur la santé des femmes, sur l’évolution des violences basées sur le genre (VBG) et sur l’éducation des filles.
La violence à l’égard des femmes
La recrudescence des violences à l’égard des femmes est l’une des plus inquiétantes répercussions sexo-spécifiques de la pandémie. Cette tendance, observée à l’échelle mondiale, s’est manifestée également en Afrique de l’Est et Australe. Initialement élevés dans la région, les cas de violences basées sur le genre (VBG) ont sensiblement augmenté à l’issue de l’adoption des restrictions de mouvements et l’aggravation des tensions socio-économiques. [1]Et ceci, sous différentes formes. [2]
Il s’agit d’abord de la violence domestique qui s’est amplifiée dans la mesure où les politiques de confinement ont isolé un grand nombre de femmes avec leur agresseur. Pour plusieurs d’entre elles, le contact avec un réseau de soutien (amis, familles, systèmes de santé ou services judiciaires) a été entravé. Les premières données du FNUAP sur l’impact du COVID-19 sur les VBG montrent une augmentation des 75% des appels à la ligne d’assistance nationale au Kenya depuis le début de la pandémie.[3] Selon les mêmes statistiques, au Zimbabwe, 90 % des appels aux lignes d’assistance nationales entre le 30 mars et le 30 mai 2020 étaient liés à la violence entre partenaires intimes
Par ailleurs, bien que des progrès aient été réalisés en Afrique de l’Est pour éradiquer les mutilations génitales féminines (MGF), il est estimé que la COVID-19 devrait impacter négativement ces efforts. Selon le FNUAP, les progrès d’élimination des MGF d’ici à 2030 pourraient être réduits d’un tiers, à cause des perturbations des programmes de prévention causés par la pandémie. [4] Les estimations actuelles chiffrent à deux millions le nombre de cas de MGF au cours de la prochaine décennie en raison de la limitation de l’accès et de la disponibilité des services VBG pendant la crise sanitaire. [5]Sans ces services, ce sont les MGF, les grossesses précoces, l’exploitation sexuelle et les mariages d’enfants qui risquent d’augmenter.
L’éducation des filles
Selon les estimations de l’UNESCO datant d’avril 20203, un total de 124 millions d’élèves en Afrique de l’Est et Australe ont été affectés par les fermetures d’écoles dues à la pandémie du COVID-19. Presque l’intégralité des pays de la région ont fermé leurs écoles pendant trois à six mois au cours des premières heures de quarantaine. Pendant cette période, des mesures d’apprentissage à distance – telles que distribution de matériel imprimé, sessions spéciales à la radio et à la télévision, utilisation de plateformes en ligne, etc- ont été mises en place. Or, les données disponibles suggèrent que les filles d’Afrique subsaharienne sont moins susceptibles d’être connectées que les garçons4. C’est pourquoi la pandémie a affecté de manière unique le parcours scolaire des filles. En circonstances normales, accéder et rester à l’école sont déjà difficiles pour de nombreuses d’entre elles et la crise sanitaire a réduit davantage la probabilité pour ces dernières de poursuivre leur éducation. En effet, les difficultés économiques accrues de ménages pourraient amener des jeunes filles à travailler ou à se marier plutôt que de continuer leurs études.
En outre, les risques de sécurités en lien avec la fermeture des écoles comprennent aussi la violence domestique, l’exploitation sexuelle, les mariages précoces et les MFG qui ont été renforcés par la période de la pandémie. La hausse de ces pratiques se manifeste déjà depuis le début de la crise. Par exemple, au Mozambique, les appels à la ligne d’assistance téléphonique pour enfants ont montré que les enfants ont passé 16 244 appels de janvier à avril 2020, soit le double du nombre d’appels au cours de la même période en 2019.[6]
Les impacts économiques de la crise sur les femmes et les filles
Les femmes et les filles sont particulièrement fragiles aux chocs économiques. À travers le monde, une femme épargne généralement moins qu’un homme et dispose d’un salaire inférieur.[7] Les femmes constituent également un grand nombre de ménages monoparentaux et occupent plus fréquemment des emplois précaires dans l’économie informelle. [8]Elles ont donc moins accès que les hommes aux protections sociales, d’où leur vulnérabilité particulière face aux crises économiques.
Or, la plupart des femmes de l’Afrique de l’Est et l’Afrique Australe continuent de tirer leurs revenus d’une agriculture de subsistance, parfois combinée à des micro et petites entreprises du secteur informel. Dans le contexte de la pandémie du COVID-19, ces travailleuses dans le secteur informel et celles à salaire journalier ont été particulièrement affectées. Les petites et moyennes entreprises, souvent dirigées par des femmes, sont des activités fragiles qui peinent à se financer dans des conditions normales et disposent de marge réduite pour amortir les chocs économiques. C’est pourquoi les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement et la fermeture des marchés ont eu un impact immédiat sur ces entreprises dans la mesure où elles manquent de ressources financières nécessaires pour maintenir leurs activités au-delà de quelques semaines ou de quelques jours dans certains cas.
Une majorité écrasante de répondants aux Rapid Gender Analysis (RGA) récentes en Éthiopie, au Malawi, au Mozambique et en Afrique Australe ont affirmé que leur activité économique personnelle avait changé depuis le début de COVID-19[9]. Le nombre d’activités génératrices de revenus dans lesquelles les femmes et les hommes se sont engagés a généralement diminué pendant la période COVID-19, les baisses les plus importantes ayant été observées au Malawi et au Kenya. [10]
La santé des femmes
La pandémie de COVID-19 a mis à rude épreuve les services de santé du monde entier et ceux dans la région aussi. L’évaluation par le FNUAP de la réponse régionale de la Communauté de développement de l’Afrique Australe (CDAA) à la pandémie de COVID-19 a révélé que presque invariablement, en moyenne, tous les 16 États membres ayant répondu avaient signalé des perturbations dans un ensemble de 25 services de suivi. [11]Les perturbations les plus fréquemment signalées concernaient notamment les services de planning familial et de contraception (68%). [12]
Avant la crise, les femmes et les filles rencontraient de nombreuses difficultés pour gérer leur santé sexuelle et reproductive ainsi que leur hygiène menstruelle. L’indisponibilité des systèmes de santé surchargés et des services spécifiques à la santé des femmes et des filles a multiplié les obstacles pour ces dernières et s’ajoutent à des problèmes préexistants dans la région comme le manque d’eau potable. Les répercussions sur le bien-être de ces femmes peuvent être dangereuses, surtout celles vivant dans les communautés rurales qui ne disposent pas de services de santé de qualité et/ou de couverture d’assurance.
L’ensemble de ces éléments soulignent l’importance de la considération du genre dans l’évaluation et la correction des impacts socio-économiques de la pandémie. En effet, le succès de la réponse à la crise sanitaire dépendra de la prise en compte du genre, de son interaction avec d’autres facteurs (âge, statut migratoire, appartenance ethnique, etc), des normes sociales [13]et statuts différents des deux sexes dans les efforts de rétablissement de la situation. Omettre ces points amènerait à perpétuer voire accentuer les inégalités entre les sexes à différents niveaux.
Bibliographie
[1] UN Women. “The Shadow Pandemic: Violence against Women during Covid-19.” UN Women, https://www.unwomen.org/en/news/in-focus/in-focus-gender-equality-in-covid-19-response/violence-against-women-during-covid-19.
[2] Ibid.
[3] FNUAP, “COVID-19 Situation Report No. 7 for UNFPA East and Southern Africa”, Août 2020, https://www.unfpa.org/resources/covid-19-situation-report-no-7-unfpa-east-and-southern-africa.
[4] FNUAP -UNICEF Programme conjoint sur les MFG, “COVID-19 Disrupting SDG 5.3: Eliminating female genital mutilation”, Avril 2020, https://www.unfpa.org/resources/covid-19-disrupting-sdg-53-eliminating-female-genital-mutilation.
[5] Ibid.
[6] UN Women, “Impact of COVID-19 on Gender Equality and Women’s Empowerment in East and Southern Africa”, 10 Mars 2021, https://data.unwomen.org/publications/covid-19-gender-equality-east-and-southern-africa.
[7] UN Women, “L’impact du COVID-19 sur les femmes et les filles”, https://interactive.unwomen.org/multimedia/explainer/covid19/fr/index.html
[9] UN Women, “Impact of COVID-19 on Gender Equality and Women’s Empowerment in East and Southern Africa”, 10 Mars 2021, https://data.unwomen.org/publications/covid-19-gender-equality-east-and-southern-africa.
[10] UN Women, “Impact of COVID-19 on Gender Equality and Women’s Empowerment in East and Southern Africa”, 10 Mars 2021, https://data.unwomen.org/publications/covid-19-gender-equality-east-and-southern-africa.
[11] FNUAP, “East and Southern Africa Region. COVID-19 Situation Report No 8”, Septembre 2021, https://www.unfpa.org/resources/covid-19-situation-report-no-8-unfpa-east-and-southern-africa.
[12] Ibid.
[13] OCDE, “SIGI 2019 Global Report”, Mars 2019, https://www.oecd.org/publications/sigi-2019-global-report-bc56d212-en.htm