Les effets de la crise du Covid-19 sur les violences basées sur le genre dans la région MENA
Article proposé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée
Table des matières
- Introduction
- Les violences basées sur le genre : un phénomène exacerbé par la crise sanitaire
- La pandémie limite l’accès des survivantes aux institutions d’aide aux victimes
- Les réponses politiques aux violences basées sur le genre dans la région MENA
- Conclusion
Introduction
Le 25 novembre marque la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Il y a près d’un an, à cette l’occasion, l’Institut européen de la Méditerranée, (IEMed) en collaboration avec la Fondation euro-méditerranéenne des femmes (EMWF), a organisé un séminaire en ligne sur les violences basées sur le genre (VBG). Le séminaire visait à initier une discussion entre des expertes et militantes du Liban, d’Egypte et de Syrie pour examiner l’augmentation des violences basées sur le genre accompagnant la pandémie de Covid-19 en 2020, les modalités de ces violences et les réponses euro-méditerranéennes locales et régionales qui y ont été apportées.[i]
Dans la continuité de ce séminaire, cet article vise à mettre en avant les violences contre les femmes dans cette région et les initiatives déployées par les associations et les pouvoirs publics pour les combattre. En considérant l’étendue et la complexité de la région du Moyen-Orient et du Nord de l’Afrique, cet article n’a pas une ambition exhaustive et repose sur des données et des analyses produites par les actrices locales de la société civiles membres de notre réseau et par les organisations internationales.
Les violences basées sur le genre : un phénomène exacerbé par la crise sanitaire
La pandémie de COVID-19 a des impacts socio-économiques particulièrement graves pour les femmes.[ii] Dans les sociétés où les femmes sont principalement responsables de tâches domestiques, il a déjà été démontré qu’à l’époque de crises telles que les conflits armés ou les catastrophes naturelles, les tensions dans le ménage augmentent. À l’échelle mondiale, pendant la pandémie de COVID-19, les signalements de violence domestique ont augmenté avec la mise en place des mesures de confinement.[iii] Plus précisément dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), l’impact de l’épidémie de COVID-19 a exacerbé les fragilités et les inégalités existantes, y compris les inégalités entre les sexes. Les chiffres officiels indiquent qu’environ 35 % des femmes mariées dans la région MENA ont subi des violences conjugales à un moment de leur vie, ce qui est légèrement supérieur à la moyenne mondiale de 33 %.[iv] Depuis le début de la crise, les ONG et les gouvernements des pays de la région MENA ont remarqué une augmentation des appels via les lignes directes pour signaler des violences domestiques,[v] ainsi que du nombre de cas signalés.[vi] Par exemple, en Jordanie, le Département de la protection de la famille a annoncé une augmentation de 33% des cas de violence domestique signalés au cours du premier mois de confinement.[vii]
Les facteurs explicatifs à ce phénomène sont multiples : les préoccupations croissantes concernant l’insécurité de l’emploi, les espaces de vie exigus pour les familles nombreuses, les services réduits et la difficulté à signaler la violence dans des conditions de confinement. Pour les victimes prises au piège à la maison avec leur agresseur, le confinement augmente également la probabilité d’épisodes de violence.[viii] Les conséquences socio-psychologiques de l’épidémie peuvent augmenter de manière significative et mener à des épisodes de violence supplémentaires. Les violences conjugales représentent un fléau social trop souvent normalisé. Une étude menée par ONU Femmes et Promundo suggère qu’il existe une forte conviction chez les femmes et les hommes dans certains pays de la région que les femmes devraient tolérer les traitements violents de la part de leur conjoint pour garder la famille unie.[ix] Par exemple, au Liban, 44% des femmes pensent que l’usage de la violence par leur mari est justifié dans certaines circonstances » (telles que brûler le repas, se disputer avec lui, sortir sans le lui dire, négliger les enfants ou refuser les relations sexuelles).[x]
La pandémie limite l’accès des survivantes aux institutions d’aide aux victimes
L’accès aux institutions était déjà inégalitaire avant la pandémie. Zeina Kanawati de l’association Women Now for Developpment en Syrie, explique que seules les organisations de femmes sont capables d’atteindre les enfants, les filles, les mères célibataires, les divorcées, les filles et les femmes abandonnées par leurs familles, les aidants, les groupes marginalisés au sein de différents groupes.[xi] Des recherches récentes ont montré que la crise sanitaire a rendu plus saillante la vulnérabilité des groupes déjà précaires. Certaines populations de femmes sont particulièrement à risque : les femmes vulnérables, y compris les femmes rurales, les réfugiées, les employées de maison et les femmes dans les zones touchées par les conflits, sont plus susceptibles d’être exposées à l’exploitation sexuelle en raison de leur situation financière généralement plus précaire. Les violences et le harcèlement de rue sont des phénomènes qui ont augmenté avec la pandémie. ONU Femmes avertit que le harcèlement sexuel dans l’espace public a augmenté du fait que les rues et les transports publics soient moins fréquentés en raison des confinements.[1]
Cette vulnérabilité accrue aux VBG est aggravée par le fait que l’accès au soutien pour les survivantes de VBG peut être remis en cause par les restrictions de mouvement et les couvre-feux. Selon l’Union des femmes jordaniennes (JWU), les trois cliniques utilisées par JWU pour aider les victimes de violence à travers le pays ont été fermées et le personnel des refuges pour femmes a été réduit de 70 % depuis le début de la crise.[xii] Cela s’accompagne d’un obstacle à l’accès aux mécanismes de justice, qui est crucial pour assurer une réparation efficace et prévenir de nouveaux abus, en raison de la nature particulière de la violence entre partenaires intimes. La pandémie de COVID-19 entrave l’accès aux systèmes judiciaires en raison des fermetures de bureaux, de l’allongement des processus administratifs et de la mobilité réduite des usagers. De tels défis mettent les réfugiées, les survivantes de VBG et d’autres à risque de ne pas obtenir le soutien de protection essentiel dont elles ont besoin.[xiii] Alors que la continuité des services est souvent assurée en ligne ou via des lignes d’assistance téléphonique, les femmes, en particulier les plus vulnérables, peuvent ne pas avoir accès à Internet ou aux téléphones, ni à la confidentialité nécessaire pour bénéficier de ces services pendant leur confinement.
Les réponses politiques aux violences basées sur le genre dans la région MENA
Cette section met en évidence les mesures et les initiatives spécifiquement destinées à soutenir les femmes tout au long de la crise dans les pays de la région MENA. La plupart des efforts ciblés des gouvernements en faveur des femmes se sont concentrés sur la lutte contre la recrudescence de la violence sexiste et sur l’aide aux victimes pendant la pandémie. La thématique des violences semble être au premier plan pour les femmes elles-mêmes. Fatma Boufenik, fondatrice de l’association féministe Femmes algériennes revendiquant leurs droits (Fard), indique que dans le classement des violences exprimées par les femmes “on trouvait les violences physiques, verbales et mentales, mais [qu’] elles étaient très rares à parler de violences économiques”.[xiv]
La société civile et les organisations internationales jouent un rôle central en soutenant et en complétant les efforts des pouvoirs publics :
- En Tunisie, le Ministère de la femme, de la famille, de l’enfance et des aînés a ouvert un nouveau centre où les survivantes de VBG auront la possibilité de se mettre en quarantaine pendant 14 jours avant d’intégrer les abris traditionnels.
- Au Maroc, la Commission nationale d’aide aux femmes victimes de violences (CNPCFVV) du Ministère de la Justice a élaboré, en coopération avec le Conseil européen, un court-métrage de sensibilisation sur les violences faites aux femmes dans le cadre des mesures de confinement liées au COVID-19. L’Union nationale des femmes marocaines (UNFM) a conçu une application téléchargeable sur smartphones qui permet de localiser l’adresse d’une victime de violences en cas d’appel de détresse. Cette plateforme travaille en partenariat avec le Ministère de la Justice, ainsi qu’avec la gendarmerie nationale et la police.
- Au Liban, la Commission nationale pour les femmes libanaises, en coopération avec les Forces de sécurité intérieure (FSI), a mis en place une nouvelle ligne d’assistance téléphonique contre la violence domestique suite à une augmentation des plaintes pour violence domestique signalée depuis le début du confinement. La ligne téléphonique, directement reliée à la salle des opérations des FSI, vise à faciliter une réponse rapide aux cas de violence domestique. En parallèle, Abaad – Resource Center for Gender Equality a indiqué l’importance de faire savoir aux femmes que, malgré le confinement, les services de leur association n’ont pas été interrompus en mobilisant la solidarité de la communauté.[xv]
- En Syrie, l’association Women Now for Developpment fournit aux jeunes filles une aide psychologique, ce qui représente l’une des activités centrales du travail de l’équipe en Syrie.[xvi]
- Dans l’Autorité palestinienne, le Cabinet a publié une décision composée de 13 mesures visant à garantir la sécurité des femmes victimes et survivantes de violences pendant la crise. Les mesures comprenaient l’appel au gouvernement à envisager des services essentiels pour les femmes victimes et survivantes de violences, et au Ministère de la Santé (MoH) à effectuer des tests COVID-19 pour les femmes et leurs enfants avant de les orienter vers des refuges.
Conclusion
Pour atténuer l’impact de la rupture des déplacements et des services sur les femmes confrontées à la violence, il est essentiel d’assurer un accès continu en déclarant ces services « essentiels ».[xvii] La coordination entre les différentes agences et services peut être renforcée pour faciliter des voies de justice centrées sur les survivantes. L’assistance et la réparation des victimes peuvent être améliorées par la sensibilisation et la formation de la police et des acteurs juridiques. Afin de faciliter l’accès à la justice, étant donné la nature particulière de la violence entre partenaires intimes, les demandes et les audiences dans de tels cas pourraient être prioritaires pour lutter efficacement et prévenir de nouveaux abus. À moyen et long terme, l’action publique pour lutter contre la violence à l’égard des femmes de manière efficace devrait adopter une approche coordonnée avec les organisations issues de la société civile.
Bibliographie
[1] UN Women (2020), COVID-19 and gender: immediate recommendations for planning and response in Jordan, https://www2.unwomen.org/-/media/field%20office%20jordan/images/publications/2020/covid19%20and%20gender%20in%20jordan%20eng.pdf?la=en&vs=128 (accessed on 17 April 2020).
[i] La Fondation des Femmes de l’Euro-méditerranée. “Repenser la violence sexiste : perspectives de l’Égypte, du Liban et de la Syrie.”
[ii] OECD (2020), Women at the core of the fight against COVID-19 crisis, https://read.oecd-ilibrary.org/view/?ref=127_127000-awfnqj80me&title=Women-at-the-core-of-the-fight-against-COVID-19-crisis (accessed on 17 April 2020).
[iii] La Fondation des Femmes de l’Euro-méditerranée. ”COVID-19 Lockdown and the Increased Violence Against Women: Understanding Domestic Violence During a Pandemic.”
[iv] UN Women/ESCWA (2017), Status of Arab Women Report 2017. Violence Against Women: What is At Stake, https://www.unescwa.org/sites/www.unescwa.org/files/publications/files/arab-women-report-violence-against-women-english.pdf.
[v] Oxfam (2020), Life under lockdown: part I, https://oxfaminjordan.exposure.co/life-under-lockdown-part-i?source=share-oxfaminjordan (accessed on 17 April 2020).
[vi] UN Women/ESCWA (2017), Status of Arab Women Report 2017. Violence Against Women: What is At Stake, https://www.unescwa.org/sites/www.unescwa.org/files/publications/files/arab-women-report-violence-against-women-english.pdf.
[vii] OECD (2020), COVID-19 crisis in the MENA region: impact on gender equality and policy responses, https://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/covid-19-crisis-in-the-mena-region-impact-on-gender-equality-and-policy-responses-ee4cd4f4/
[viii] OECD (2020), COVID-19 crisis in the MENA region: impact on gender equality and policy responses, https://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/covid-19-crisis-in-the-mena-region-impact-on-gender-equality-and-policy-responses-ee4cd4f4/
[ix] UN Women/Promundo (2017), Understanding Masculinities. Results From the International Men and Gender Equality Study (IMAGES) – Middle East and North Africa, https://www.unwomen.org/-/media/headquarters/attachments/sections/library/publications/2017/images-mena-multi-country-report-en.pdf?la=en&vs=3602.
[x] OECD. (2019). “Gender, Institutions and Development Database (GID-DB) 2019.”
[xi] La Fondation des Femmes de l’Euro-méditerranée. “Repenser la violence sexiste : perspectives de l’Égypte, du Liban et de la Syrie.”
[xii] Oxfam (2020), Life under lockdown: part I, https://oxfaminjordan.exposure.co/life-under-lockdown-part-i?source=share-oxfaminjordan (accessed on 17 April 2020).
[xiii] La Fondation des Femmes de l’Euro-méditerranée. « Analyse rapide de genre : COVID-19 Région Moyen-Orient et Afrique du Nord. » CARE. 2020.
[xiv]Oussad, Said. (2021). « En Algérie, les femmes sont les premières victimes de la crise économique. » Courrier International.
[xv] ABAAD – Resource Center for Gender Equality. (2021) «Comment soutenir les victimes de VBG lorsque les rencontres en face à face ne sont pas possibles. » La Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée.
URL : https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/agenda/view/9705/comment-soutenir-victimes-vbg-lorsque-rencontres-en-face-a-face-ne-sont-pas-possibles
[xvi] La Fondation des Femmes de l’Euro-méditerranée. “Repenser la violence sexiste : perspectives de l’Égypte, du Liban et de la Syrie.”
[xvii] La Fondation des Femmes de l’Euro-méditerranée. “Repenser la violence sexiste : perspectives de l’Égypte, du Liban et de la Syrie.”