La participation politique des femmes jordaniennes au niveau local
Article proposé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée
Résumé :
En 2017, Building Bridges Association (BBA) a rendu un diagnostic de terrain intitulé « La Participation des femmes dans les conseils municipaux à Liwa Al Koura, Irbid », en tant que chef de file du pôle local d’acteurs de l’égalité femmes-hommes© (cycle 1) en Jordanie, mis en œuvre par la Fondation des Femmes de l’Euro- Méditerrannée avec le soutien de l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed) et inséré dans l’Axe 1 « Renforcer les capacités des acteurs de l’égalité » du projet « Femmes d’avenir en Méditerranée » financé par le Fonds de solidarité prioritaire de Ministère français des l’Europe et des Affaires étrangères.[1] Ce travail est axé sur les écarts de participation entre les femmes et les hommes à l’échelle locale, ainsi que sur les facteurs qui limitent la contribution des femmes à la vie politique dans cette région.[2] Cet article proposé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée s’appuie sur le diagnostic remis par BBA ainsi que sur des documents publiés par nos membres et la littérature présente dans notre Centre documentaire.[3]
Table des matières
- Introduction: un aperçu du contexte jordanien
- Résultats du diagnostic : une analyse des enjeux à l’œuvre
- Recommandations : des pistes de réflexion pour instaurer l’égalité
- Bibliographie et références
Introduction
A – Une expertise et une approche au plus près du terrain
Grâce à l’Axe 1 du projet Femmes d’avenir en Méditerranée, la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée met en valeur l’expertise de la société civile en tant que moteur de changement social. De plus, la méthodologie des pôles locaux permet aux chercheurs et chercheuses impliquées de connaître le travail des associations œuvrant en faveur des droits des femmes.[4] L’organisation BBA a bénéficié des expériences passées et des stratégies mises en place par les associations participant aux cycles des pôles locaux.[5]
BBA a élaboré ce diagnostic de terrain à partir de discussions avec des organisations non-gouvernementales (ONG) et des leaders au niveau local, des femmes membres de conseils municipaux et des femmes candidates aux élections municipales. Tout d’abord, il examine la législation et les lois relatives à la participation politique des femmes. Ensuite, il montre les obstacles administratifs et les défis sociaux et culturels auxquels les femmes sont confrontées en tant que membres de conseils exécutifs et locaux. Il analyse également comment le quota a eu un impact sur l’accès des femmes au Parlement national. Enfin, le diagnostic fournit des recommandations pour améliorer la présence des femmes dans les conseils locaux, à des postes de décisions et sur la scène politique en général.
L’association a organisé des discussions avec des représentant.e.s d’organisations de la société civile (OSC), des dirigeant.e.s au niveau local, des conseillères municipales et des femmes candidates ayant perdu aux élections municipales. Des séances de « brainstorming » faisant appel à différents secteurs liés à la participation politique des femmes ont aussi été organisées. Au total, 128 personnes ont participé à ces séances. BBA a complété ses recherches avec des entretiens et des questionnaires.
B – Un aperçu de la participation politique des femmes en Jordanie
Depuis les années 1990, les politiques nationales jordaniennes liées à l’égalité femmes-hommes ont progressé. Une attention particulière a été accordée aux services et aux associations caritatives pour les femmes dont un grand nombre a été officialisé. La ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) en 1992 et la création, la même année, de la Commission nationale jordanienne femmes (Jordanian National Comission for Women, ou JNCW)[6] ont marqué un tournant en faveur des droits des femmes.[7]
Malgré ces récentes avancées, BBA dresse le constat d’un taux de participation des femmes en politique très bas, celui-ci ne dépassant pas les 10 %. Dans l’administration publique, les femmes n’occupent que 7 % des postes de cadres supérieurs et 17 % des postes de cadres. Selon les résultats de l’étude réalisée par le Ministère du développement du secteur public, en mai 2015, les femmes représentaient 45 % des fonctionnaires. Néanmoins, ce pourcentage chute à 24 % si l’on exclut les secteurs de la santé et de l’éducation, démontrant que les femmes sont cantonnées à ces deux domaines considérés comme l’apanage du féminin et de la maternité.[8]
De surcroît, la Jordanie dispose d’une législation aveugle à l’égalité entre les hommes et les femmes. La Constitution jordanienne déclare dans son article 6 que « Les Jordaniens sont égaux devant la loi. Il ne doit y avoir aucune discrimination entre eux, fondée sur la race, la langue ou la religion, en ce qui concerne leurs droits et leurs devoirs ». Toutefois, la Constitution ne mentionne pas spécifiquement l’interdiction de discriminer pour des raisons de genre. Elle ne contient pas non plus d’article relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes.[9]
Résultats du diagnostic : une analyse des enjeux à l’œuvre
Certains dispositifs légaux facilitent la participation des femmes jordaniennes aux affaires du pays. La loi dispose que les femmes doivent être obligatoirement présentes au sein du gouvernement. On peut citer, à ce titre, les lois relatives au parlement et aux conseils municipaux qui ont fixé des systèmes de quota pour les femmes, ainsi que la loi provisoire relative aux élections de 2003 et la loi relative aux élections municipales de 2007. Malgré cela, la population n’a pas suivi cette orientation officielle et la représentation des femmes stagne à un faible niveau dans les différentes institutions politiques. Une étude menée par la JNCW intitulée « La participation des femmes aux conseils municipaux en Jordanie » et publiée en 2011[10] ressort que, dans les conseils municipaux, les femmes sont cantonnées dans des activités sociales ou environnementales ou sont chargées des services y compris le nettoyage. Ceci signifie que, même lorsqu’elles atteignent des postes à haute responsabilité, elles sont encore et toujours dirigées vers des domaines sociaux ou de prestations de services.
Selon Hassine Al Othmane, l’absence des femmes de l’arène politique n’est pas due à des problèmes juridiques, mais à des entraves socio-culturelles : la ségrégation entre femmes et hommes dans la vie publique persiste.[11] Dans son étude pour l’Association for Women’s Promotion and Development « La participation politique des femmes dans le monde arabe », Imene Bibers a pris connaissance des expériences de plusieurs femmes candidates aux élections municipales et aux parlements de divers pays arabes, à savoir : la Jordanie, le Yémen, l’Égypte, le Liban et la Palestine.[12] Dans ces contextes, un certain nombre de facteurs s’opposent à la participation politique des femmes. Elle note une absence de soutien des partis politiques à l’égard des femmes dans tous les pays arabes, où le rôle de celles-ci au sein des partis est insignifiant. Malgré l’existence de quotas dans plusieurs pays arabes – Soudan, Maroc et Jordanie –, des lois qui discriminent les femmes perdurent dans tous les pays arabes.
La connaissance qu’ont les femmes de leurs droits civils et politiques est liée à leur compréhension des questions socio-culturelles, plutôt qu’à celle des lois et des dispositifs nationaux ou des conventions internationales. BBA dresse le constat d’un manque de programmes visant à former et sensibiliser les femmes aux conventions et aux traités internationaux ratifiés par la Jordanie en matière de droits civils et politiques. Par ailleurs, la possibilité pour les femmes de candidater à des postes décisionnels dépend toujours de leur statut social et familial au lieu d’être une pratique issue d’un droit garanti par la Constitution ou les conventions et traités internationaux. Le manque de ressources financières et la dépendance économique contraignent les femmes qui souhaitent devenir candidates, soit à s’appuyer sur leur famille et sur le groupe, soit à mobiliser la société. Ainsi, les femmes rencontrent des barrières liées au genre mais aussi à la classe sociale. Le diagnostic de terrain « Plaider en faveur de l’égalité dans les usines de Zarqa » en Jordanie souligne les difficultés que rencontrent les femmes au sein de leur environnement professionnel et de la difficulté d’atteindre une autonomie financière.[13]
Enfin BBA souligne d’autres facteurs qui minent l’intérêt des femmes et de l’opinion publique en général pour la politique. En outre, les femmes ne connaissent pas bien le rôle qu’elles devront jouer et les responsabilités qui leur incomberont au sein des conseils municipaux ainsi que les lois qui les régissent. Enfin, en Jordanie des opinions controversées sur la CEDEF persistent.
Recommandations : des pistes de réflexion pour instaurer l’égalité
BBA propose des recommandations en direction des organismes officiels, des OSC et des ONG, parmi lesquelles :
- Se concentrer sur les programmes de sensibilisation aux droits sociaux et culturels pour susciter des prises de conscience et changer les mentalités et les attitudes concernant la distribution des rôles et des responsabilités entre femmes et hommes ;
- Renforcer les compétences des femmes politiques afin de les préparer à travailler dans le domaine public ;
- Œuvrer en faveur des femmes sous l’égide de la JNCW. Il s’agit de placer la promotion des femmes au rang de priorité nationale afin de les aider à atteindre des postes décisionnels et de réduire les obstacles se dressant sur leurs parcours ;
- Réorganiser le rôle des médias, de la presse, la radio et la télévision, pour en faire des instruments éducatifs et de sensibilisation à même de jouer un rôle important dans le changement des mentalités sociales.
- Créer un réseau d’alliances avec la société civile qui se chargerait de programmes visant à renforcer les compétences des femmes ;
- Assigner des fonctions aux dirigeantes locales et renforcer leur rôle en termes de gestion des populations locales;
- Organiser des programmes de sensibilisation adressés aux militant.e.s ainsi qu’aux personnalités religieuses afin de modifier véritablement les attitudes et les opinions qui entravent la participation des femmes et bloquent leur accès aux postes décisionnels ;
- Accorder une attention particulière à la disparition des préjudices subis par les femmes dans la société, cela par l’intermédiaire des OSC ;
- Promouvoir les programmes qui soutiennent les femmes dans le cadre de leurs campagnes électorales pour les aider à toucher un éventail d’électeurs-électrices le plus large possible.[14]
Références
[1] « Renforcer les capacités des acteurs de l’égalité du projet Femmes en Méditerranée », du Fonds de Solidarité Prioritaire, financé par le Ministère français des Affaires Etrangères et du Développement International.
[2] BBA est une organisation à but non lucratif basée à Amman.
[3] Building Bridges Association (2017) «Participation des femmes dans les conseils municipaux à Irbid», diagnostic de terrain 2, cycle 3. p.27.
[4] Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée (2016) «Les pôles locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes sont présentés aux responsables politiques et autres acteurs euro-méditerranéens» – 18/10/2016
[5] Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée (2017) «Rencontre avec les 7 associations qui analyseront la situation des femmes en 2018” – 22/12/2017»
[6] La Commission nationale jordanienne femmes constitue un mécanisme de contrôle de la mise en application de la CEDEF par le Gouvernement Jordanien.
[7] Département Jordanien des Statistiques. Indicateurs selon le genre, DOS. 2009
[8] Bureau des Fonctionnaires. Rapport national annuel, 2010
[9] Commission Nationale Jordanienne des Femmes. (JNCW). (2009) Rapport jordanien officiel sur la mise en œuvre de la Plateforme de Pékin présenté à la conférence des Nations Unies Pékin+15.
[10] Commission Nationale Jordanienne des Femmes. (JNCW). (2011) « Les obstacles à la participation politique des femmes en Jordanie d’un point de vue sociologique ». nd.
[11] Al Othmane, Hassine. (2011) « Les obstacles à la participation politique des femmes en Jordanie d’un point de vue sociologique. » nd.
[12] Bibers, Imene dans Building Bridges Association (2017) «Participation des femmes dans les conseils municipaux à Irbid, diagnostic de terrain 2, cycle 3. p.27.
[13] Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée (2017) « Diagnostic de terrain : Plaider en faveur de l’égalité dans les usines de Zarqa »
[14] Building Bridges Association (2017) «Participation des femmes dans les conseils municipaux à Irbid », diagnostic de terrain 2, cycle 3. p.27.