La représentation politique des femmes en Égypte: les élections du Sénat en 2020
Tables des matières:
- Introduction
- Le contexte électorale égyptien et les élections du Sénat en 2020
- La dimension de genre dans la participation politique en Egypte : perspectives de Gizeh
- Conclusion : autour des quotas
- Références
Introduction
Si la présence des femmes dans les institutions égyptiennes a varié beaucoup au fil du temps, les femmes et les filles en Egypte sont représentées en nombre relativement faible par rapport aux femmes des autres pays de la région MENA et de l’OCDE. Au cours des vingt dernières années, le niveau de représentation est resté soit inférieur à 3 % (élections de 1995, 2000, 2005 et 2012), soit à 13 % et 15 % (2010 et 2015) : le facteur déterminant de ces différents niveaux a été la mise en œuvre, ou l’abolition, d’un quota électoral de femmes.[1]
Les élections du sénat en cours – commencées le 11 et 12 Août 2020 – ont vu un nombre total de 141 femmes candidates sur les sièges individuels et les listes, dont 91 pour les sièges individuels (sur un total de 786, soit 11,5%), 20 sur les listes de base (quota du 20%) et 30 sur les listes de réserve.[2]
En 2017 l’Association Appropriate Communication Techniques for Development (ACT) a réalisé le diagnostic de terrain intitulé « La participation politique des femmes en Egypte : perspectives de Gizeh », en tant que chef de file d’un pôle local d’acteurs de l’égalité femmes-hommes© en Egypte mis en place par la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerrannée (FFEM) avec le soutien de l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed) et inséré dans l’Axe 1 « Renforcer les capacités des acteurs de l’égalité » du Fonds de solidarité prioritaire « Femmes d’avenir en Méditerranée » financé par le Ministère français des Affaires étrangères et du Développement international, dans le cadre du projet « Développer l’autonomie des femmes », labellisé par l’Union pour la Méditerranée.[3]
Cet article se base sur l’analyse de terrain en synthétisant les résultats du diagnostic pour ce qui concerne les principaux défis face à la participation politique des femmes égyptiennes, et propose une piste de réflexion critique du système des quotas en Egypte, afin de pouvoir fournir un instrument de lecture de la dimension de genre au sein du parcours électoral actuel en Egypte.
Le contexte électoral égyptien et les élections du Sénat en 2020
Lors des dernières élections parlementaires égyptiennes déroulées à la fin de 2015, les votes aux candidates femmes avaient fait l’objet des progrès historiques, occupant un nombre record de 89 sièges sur 596, soit près de 15%.[4] Ces chiffres avaient été célébrées par plusieurs mouvements féministes et par le Centre national égyptien pour les droits de la femme comme résultat d’efforts décennales.[5] Ces résultats historiques méritent d’être examinés de plus près car un quota, imposé par la loi n° 46 de 2014, exigeait que les listes des partis incluent un certain nombre de femmes : sans le quota unique, la représentation des femmes aurait été d’environ 4%, soit à peu près la même que lors des précédentes élections tenues sans quota.[6]
Pour ce qui concerne le Sénat – objet des élections en cours – la dernière constitution de 2014 ne prévoyait pas de chambre haute du Parlement (c’est à dire de Sénat, anciennement « Conseil de la Choura »), bien qu’elle figure dans l’histoire du pays : en vertu de la constitution de 1923, le parlement égyptien était bicaméral, composé d’un Sénat et d’une Chambre des représentants. La Chambre haute a été dissoute pour la première fois en 1952 avec la Révolution du 23 juillet. Le parlement égyptien est resté une chambre unique jusqu’en 1980, date à laquelle des amendements ont été apportés à la constitution de 1971 rétablissant la chambre haute sous le nouveau nom de Conseil de la Choura. La constitution de 2013 a maintenu la chambre haute sous ce même nom avant qu’elle ne soit à nouveau retirée de la constitution de 2014.[7] En 2012, les dernières élections au Sénat ont vu 396 candidates femmes se présenter au niveau de la République, ce qui équivaut à environ 40 fois les nominations au Conseil de la Choura précédent pour l’année 2010, qui ne comptait que 9 femmes. Lors des élections de 2012, cinq femmes ont remporté 5 des 180 sièges de la Choura, soit 2,7%.[8] À partir de 2014, l’espace électorale féminin prévoit un pourcentage de quotas nouveau : le résultat des élections sénatoriales d’août 2020 présent en fait un quota sur les sièges des circonscriptions avec 20 femmes sur 100 sièges et les élections se déroulent sur une liste fermée absolue, ce qui a signifié que toute la liste soit gagnante. Cela a garanti que 20% des femmes figureront sur les sièges de liste, en plus de celles qui réussiront dans les différentes circonscriptions.[9] En fait, le Sénat comprendra 300 membres : un tiers élu par ce système de liste fermée, un autre tiers élu par un système de circonscription uninominale et le dernier tiers nommé par le président (ce système serait conçu pour permettre la représentation des minorités et la présence d’experts dans différents domaines, permettant ainsi au Sénat de jouer un rôle complémentaire à la « chambre basse » du parlement, la Chambre des représentants).[10] Il est important de mentionner que le Conseil de la Choura que le Sénat fait revivre avait été vivement critiqué par de nombreux membres du comité qui a rédigé la constitution de 2014, qui le considèrent comme un espace de corruption et un instrument utilisé par l’élite au pouvoir pour maintenir ses alliances (c’était l’une des principales raisons de sa dissolution dans la Constitution) et contrôler la presse.[11]
La dimension de genre dans la participation politique en Egypte : perspectives de Gizeh
Au fil de l’histoire, les femmes égyptiennes – qui ont toujours pris une part active aux révolutions du pays –[12] ont lutté pour se faire une place dans la vie publique, d’abord par la revendication de leur droit à l’éducation. À la suite d’actions de plaidoyer et de revendications intenses, les femmes sont parvenues à gagner des droits substantiels en termes de participation et d’affiliation aux syndicats ainsi que du droit à s’engager dans la vie politique et sociale.[13] Toutefois, le faible nombre de femmes occupant des postes de responsabilité dans les institutions politiques ou dans l’administration de l’État démontre que leur opinion et leur influence sur la société demeurent très restreintes et très peu représentées.[14] Par ailleurs, l’absence de sensibilité des partis politiques et leur manque d’intérêt envers la participation des femmes, auxquels il faut ajouter la pérennisation des pratiques misogynes, sont autant de défis majeurs à relever pour atteindre non seulement l’égalité des genres, mais aussi des politiques publiques plus inclusives en Égypte.
Parmi les défis vis-à-vis la participation politiques des femmes en Egypte détectés par le diagnostic de Appropriate Communication Techniques for Development (ACT) dans le cadre des enquêtes menées à Gizeh on retrouve :
- manque de compétences en termes de mobilisation : les femmes parviendraient moins que les hommes à mobiliser la population durant les campagnes électorales – malgré leur capacité à cerner les sujets et les problèmes affectant la société – à cause de plusieurs facteurs structurels ;
- manque de soutien financier : pour mobiliser la population durant les campagnes électorales, par exemple, il est nécessaire de disposer de moyens financiers et du soutien d’entrepreneurs, en plus du soutien gouvernemental ;
- les lois et les réglementations ne facilitent pas et n’encouragent pas les femmes à participer à la vie politique : malgré les réformes juridiques, il existe encore des lois très discriminatoires à l’égard des femmes en matière de droits et d’engagement politiques ;
- attitudes négatives envers la participation politique des femmes : il existe en outre une vision négative et réductrice des femmes, de leurs droits, de l’importance de leur rôle et reconnaissance, problème auquel s’ajoute la diffusion d’une culture politique misogyne qui instrumentalise des arguments socio-culturels et religieux ;
- manque d’intérêt envers la politique : bien qu’il y ait des femmes qui ont de véritables ambitions politiques et l’espoir d’accéder à une haute fonction publique, les femmes n’ayant aucune ambition politique sont très nombreuses. De surcroît, comme les hommes, elles ont l’espoir de parvenir à ces hautes fonctions, mais sans pouvoir faire appel aux mêmes ressources, aux relations et aux opportunités politiques.
Pour récupérer et promouvoir leurs droits politiques, les femmes de Gizeh qui ont pris part à l’enquête du diagnostic en 2017 ont proposé, d’une part, des actions de sensibilisation dirigées aux femmes et filles égyptiennes afin de les informer sur leurs droits, leurs capacités et leurs potentiels. D’autre part, des actions de formations ciblant les femmes ont été suggérées, notamment en termes de leadership, gestion, planification, négociation, communication. Le diagnostic illustre aussi comment dans la sphère publique les femmes ont été encouragées « uniquement » à créer des organisations non gouvernementales, afin d’accroître la participation féminine au développement durable, et non pas dans les dimensions gouvernementales. En outre, le diagnostic souligne l’exigence de revoir les lois de façon à modifier la structure inégale du système socio-politique, supprimer les normes discriminatoires et intégrer des articles garantissant la pleine mise en application de l’égalité des droits et des devoirs pour les hommes et les femmes dans la vie publique et privée.[15]
Conclusion : autour des quotas
Saher Osman, ancien membre du Parlement et directeur adjoint de l’Union générale des travailleurs égyptiens, avait noté à propos des dernières élections parlementaires égyptiennes (en 2015) que, hormis l’effet du quota, la situation de la représentation politiques des femmes est « restée inchangée depuis des décennies ».[16] Pour mieux comprendre si le quota a réellement fait progresser les droits et la représentation des femmes, il serait important de considérer à la fois l’efficacité des quotas dans le contexte national spécifique et l’efficacité ultérieure des femmes siégeant au parlement (si les avis sur l’efficacité des quotas varient, ils pourraient constituer une option courante et apparemment populaire pour accroître la représentation des femmes au gouvernement).[17] Comme noté par Erin Francolli, un argument commun en faveur du système de quotas, utilisé dans nombreux pays, en Afghanistan comme en France, est celui formulé par Marguerite El-Helou selon laquelle les quotas sont « une mesure temporaire nécessaire pour faire tomber les barrières sociales, culturelles et politiques à l’égalité réelle des sexes dans les droits fondamentaux de la citoyenneté protégés par la constitution ».[18] Au même temps, d’autres, dont Mona Lena Krook, ont fait valoir que les quotas sont plus un geste symbolique que le signe d’un engagement profond en faveur de l’égalité de genre: ils permettent aux élites politiques d’apparaître préoccupées par le sort de l’inégalité tout en ignorant les questions plus profondes liées aux droits et à la mobilité des femmes et des filles dans la société.[19] En outre, les femmes élues à la suite d’un système de quotas peuvent avoir le sentiment d’être considérées comme représentantes des femmes uniquement, et non de tout autre groupe constitutif, avec des limites en matière de représentation[20] et intersectionalité. Pour conclure, il est important pour Francolli de souligner que les critiques aux quotas font souvent valoir que les femmes élues par le biais de ce système sont généralement fidèles à l’establishment du parti, une préoccupation qui s’accroît lorsque la nomination des représentant.e.s par le président est autorisée, comme c’est le cas dans le contexte égyptien.[21] En effet, comme mentionné, même dans le cas des actuelles élections du Sénat en 2020, le Président a le pouvoir de nommer 100 représentant.e.s dont le quota pour les femmes est établie à 10%.[22]
D’après le diagnostic, il semble être évident que le contexte égyptien nécessiterait d’une série assez large de mutations politiques, socio-économiques et culturelles, en faveur d’une réelle représentation féminine, qui dépassent et sous-tendent la formalité du processus électoral caractérisé par un système des quotas, bien qu’il reste également central pour l’inclusivité des femmes et des filles dans la sphère publique. À ce propos, Dans le cadre de l’enquête menée par ACT, la participation politique ne consiste pas simplement à déposer un bulletin de vote dans une urne lors des élections ; l’association entend plutôt par cette expression le fait que les citoyen.ne.s puissent et soient capables de s’engager activement dans les décisions politiques. Le terme « participation politique » des femmes égyptiennes fait référence pour l’association au « rôle joué par les femmes dans la vie parlementaire en tant qu’électrices, candidates et députées ainsi que les fonctions qu’elles assument dans les syndicats professionnels et les partis politiques ».[23] Au sein de ce débat très complexe,[24] au delà des obstacles qui entravent la participation politique effective des femmes en Egypte (limites électorales substantielles, droits socio-politiques et opportunités socio-économiques, représentations médiatiques), le diagnostique de terrain constate également que dans plusieurs régions égyptiennes les familles ont le pouvoir de décider de la participation des femmes dans la vie publique, voire même de contrôler leur vote.[25] Cet élément indique une autre raison expliquant la nécessité d’analyser les processus électorales avec un regard critique et globale, comme c’est le cas pour les élections actuellement en cours en Egypte.
Références
[1] OECD (2018) “Women’s Political Participation in Egypt – Barriers, opportunities and gender sensitivity of select political institutions” , p. 10. http://www.oecd.org/mena/governance/womens-political-participation-in-egypt.pdf
[2] The Egyptian Center for Women’s Rights (2020), Communiqué de presse “ECWR Monitors Numbers and Percentages of Female Candidates in The Senate Election” – 10/08/2020. http://ecwronline.org/?p=8119
[3] Appropriate Communication Techniques for Development – ACT (2017), «LA PARTICIPATION POLITIQUE DES FEMMES EN ÉGYPTE : PERSPECTIVES DE GIZEH » – Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée & IEMed Institut Européen de la Méditerranée, Diagnostic de terrain 3, cycle 1, p. 13. https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/6994/diagnostic-terrain-la-participation-politique-femmes-en-egypte-perspectives-gizeh
[4] Women in National Parliaments (2019) http://archive.ipu.org/wmn-e/classif.htm
[5] El-Behary, H. (2016) “Women’s representation in new parliament highest in Egypt’s history”, Egypt Independent – 05/01/2016. https://www.egyptindependent.com/women-s-representation-new-parliament-highest-egypt-s-history/
[6] Francolli, E. (2017) “Women and Quotas in Egypt’s Parliament”, The Tahrir Institute for Middle East Policy – 01/05/2017. https://timep.org/commentary/analysis/women-and-quotas-in-egypts-parliament/
[7] Zaineldine, A. (2020) « 5 Things to Know About Egypt’s Upcoming Senate Elections », Egyptian Streets – 24/07/2020. https://egyptianstreets.com/2020/07/24/5-things-to-know-about-egypts-upcoming-senate-elections/
[8] The Egyptian Center for Women’s Rights (2020), Communiqué de presse “ECWR Monitors Numbers and Percentages of Female Candidates in The Senate Election” – 10/08/2020. http://ecwronline.org/?p=8119
[9] Ibidem.
[10] Zaineldine, A. (2020), surcité.
[11] MADA MASR (2020), “Despite continuing impact of COVID-19, Senate elections date set for August”, 05/07/2020. https://www.madamasr.com/en/2020/07/05/news/u/despite-continuing-impact-of-covid-19-senate-elections-date-set-for-august/.
Pour une critique plus approfondie des élections sénatoriales en Egypte de 2020, voir aussi: MADA MASR (2020), “Senate elections: How we moved backward”, 07/08/2020. https://www.madamasr.com/en/2020/08/07/feature/politics/senate-elections-how-we-moved-backward/
[12] Allam. N. (2018) « Women and the Egyptian Revolution – Engagement and Activism during the 2011 Arab Uprising » – Cambridge University Press.
[13] Appropriate Communication Techniques for Development – ACT (2017), «LA PARTICIPATION POLITIQUE DES FEMMES EN ÉGYPTE : PERSPECTIVES DE GIZEH » – Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée & IEMed Institut Européen de la Méditerranée, Diagnostic de terrain 3, cycle 1, p. 7.
[14] Ibidem, p. 8
[15] Ibidem, p. 21
[16] Reda, A. (2016) “87 Women in Egypt’s 2015 parliament: Not good enough”, WataniNet – 04/01/2016. http://en.wataninet.com/politics/parliament/87-women-in-egypts-2015-parliament-not-good-enough/15471/
[17] Francolli, E. (2017) “Women and Quotas in Egypt’s Parliament”, The Tahrir Institute for Middle East Policy – 01/05/2017. https://timep.org/commentary/analysis/women-and-quotas-in-egypts-parliament/
[18] El-Helou, M. (2009) « Gender Quotas in Parliamentary Representation », Al-Raida 126-127, pp. 25. http://iwsawassets.lau.edu.lb/alraida/alraida-126-127.pdf
[19] Krook, M. L. (2009), « Gender Quotas in Parliament: A Global Perspective», Al-Raida 126-127 pp. 8-17. http://iwsawassets.lau.edu.lb/alraida/alraida-126-127.pdf
[20] Dahlerup D. (2009), “Women in Arab Parliaments: Can Gender Quotas Contribute to Democratization?”, Al-Raida 126-127 pp. 28-38. http://iwsawassets.lau.edu.lb/alraida/alraida-126-127.pdf
[21] Francolli, E. (2017), surcité.
[22] MADA MASR (2020), “Despite continuing impact of COVID-19, Senate elections date set for August”, 05/07/2020. https://www.madamasr.com/en/2020/07/05/news/u/despite-continuing-impact-of-covid-19-senate-elections-date-set-for-august/
[23] Appropriate Communication Techniques for Development – ACT (2017), «LA PARTICIPATION POLITIQUE DES FEMMES EN ÉGYPTE : PERSPECTIVES DE GIZEH » – Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée & IEMed Institut Européen de la Méditerranée, Diagnostic de terrain 3, cycle 1, p. 13. https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/6994/diagnostic-terrain-la-participation-politique-femmes-en-egypte-perspectives-gizeh
[24] Voir : International Institute for Democracy and Electoral Assistance, “Gender Quota Database” au lien suivant. https://www.idea.int/data-tools/data/gender-quotas/quotas
[25] Appropriate Communication Techniques for Development – ACT (2017), surcité, p.18