La participation des femmes à la vie politique locale dans le gouvernorat de Louxor, Egypte
Article proposé et préparé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée
Date de publication: 30 septembre 2019
Introduction
Au niveau mondial, les femmes sont encore sous-représentées dans les postes de prise de décision et les entités de gouvernance. Par exemple, en février 2019, 24,3% seulement des parlementaires nationaux étaient des femmes [1]. Dans 103 pays et régions, la représentation des femmes dans les entités locales élues variait de moins de 1% à près de la parité, à 50%, avec une médiane de 26% [2]. Alors que les stéréotypes, les rôles et les attentes liés au genre intimident la participation des femmes à la vie politique et publique dans certains pays, la législation et l’absence de politiques sensibles au genre sont considérées comme l’un des principaux défis de la participation politique des femmes. Pour mieux comprendre cette situation, cet article examine le cas particulier du plus petit gouvernorat d’Égypte: Louxor qui compte de nombreuses familles et tribus dont les lignées remontent à l’Égypte ancienne ou des familles arabes qui ont émigré de la péninsule arabique après la conquête musulmane. Les coutumes et les traditions varient d’un village à l’autre mais restent largement similaires, car les habitant-e-s ont souvent à cœur de préserver les systèmes tribaux et les conseils coutumiers, surtout lorsqu’il s’agit de résoudre des problèmes, de régler des différends et de recouvrer des droits. Même si la culture occidentale est répandue dans les zones touristiques où les habitant-e-s interagissent avec les visiteurs étrangers, la population locale reste très conservatrice [3]. L’article est basé sur un diagnostic de terrain mené par l’Association Nationale pour la défense des droits et libertés – ci-après NADRF avec le support Fondation des Femmes de l’Euro- Méditerranée (FFEM) et l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed). Pour réaliser ce diagnostic qui analyse le rôle des femmes et leur participation dans les conseils de gouvernance locale, NADRF s’est appuyé sur des enquêtes et a tenu compte de l’urgence de la situation en raison des élections locales à venir en Égypte, de la corruption généralisée et du manque de reddition de comptes au sein des conseils locaux. La méthodologie visait principalement la nécessité de qualifier et d’autonomiser les femmes, afin qu’elles puissent obtenir une expérience de terrain au sein des conseils. Elle a permis d’offrir une compréhension globale de la situation, de déterminer les principales difficultés et lacunes concernant l’intervention et de mettre en place des activités clés. NADRF a mené le diagnostic en tant que chef de file d’un pôle local d’acteurs de l’égalité femmes-hommes© en Egypte, et a collaboré avec L’initiative en faveur du développement de la culture et de la communauté des femmes du village de Zenia à Louxor, le parlement des jeunes du village de Dair à Louxor et l’Association familiale pour le développement de la société à Louxor. Cette initiative faisait parties des pôles locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes© que la FFEM a mis en place en Algérie, Égypte, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine et Tunisie (1 par pays) pour mobiliser les acteurs de l’égalité au moyen d’activités de collectes de données, de consultations et d’échanges d’expériences dans le but d’analyser des thèmes liés aux droits des femmes et de faire un suivi de l’effectivité des politiques publiques dans ces domaines avec une approche participative. Toutes les informations liées aux résultats des pôles locaux sont disponibles sur www.euromedwomen.foundation et font l’objet d’une vaste diffusion dans la région euro- méditerranéenne.
Le contexte
Les femmes ont joué des rôles clés dans tous les moments historiques de l’Égypte, mais cela ne leur a pas encore permis d’occuper des postes de pouvoir aux côtés des hommes et de prouver ainsi leurs compétences et leurs capacités. Historiquement, les égyptiennes ont été les premières femmes arabes à représenter leur peuple au parlement en 1957. Le 14 juillet 1957, Rawya Ateya, la première parlementaire égyptienne, a pris ses fonctions en tant que députée à part entière pour le gouvernorat de Gizeh, suivie d’Amina Shukri pour Alexandrie. Lors des élections de 1964, les femmes occupaient huit sièges, mais ce nombre est descendu à six en 1967, puis à trois en 1969, pour remonter à huit en 1971. Après la transition vers un système multipartite en 1977 et en réponse aux efforts nationaux et aux initiatives internationales visant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes, la loi no 188 adopté en 1979, a instauré un système de quotas en garantissait l’attribution de 30 sièges à l’Assemblée du peuple (360) aux femmes. En effet, le parlement de 1979 a connu une augmentation sans précédent du nombre de députées qui est passé à 35 (30 femmes ont remporté des sièges relevant du quota, trois ont remporté des sièges hors quota et deux ont été nommées par le président), soit 9 % des sièges disponibles [4]. Ce pourcentage est resté à peu près le même en 1984 avec 36 sièges remportés par des femmes. En 1986 la loi no 188 a été abrogée (la Cour constitutionnelle suprême a jugé la loi inconstitutionnelle en 1986 car elle constituait une discrimination fondée sur le genre). De ce fait, la représentation des femmes est tombée considérablement pour atteindre 2,2% dans le Parlement de 1987. Le retour au principe du « gagnant raffle tout » (scrutin majoritaire) en 1990 a entraîné une diminution du nombre de députées qui est passé à 11. En 2005, les femmes n’ont remporté que quatre sièges au parlement sur les 444 disponibles, soit l’équivalent de 0,9 % des sièges. Ces dernières années, l’Égypte a signé de nombreux accords internationaux pour l’autonomisation des femmes, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) ratifiée en 1981, par l’intermédiaire de laquelle elle s’engageait à modifier certaines de ses lois conformément aux accords internationaux. L’une de ces modifications portait sur la parité dans la vie politique, ce qui a conduit à imposer un quota de 64 sièges pour les femmes. Pour ce qui est de la participation aux conseils locaux, la situation est pire. Or, les dernières élections des conseils locaux de 2008 montre que parmi un total de 51 402 membres des gouvernements locaux, 44 000 ont été élu-e-s par acclamation ou nommés. Environ 5% de ces 44 000 membres non élus étaient des femmes. En fait, depuis 1979, les femmes n’ont jamais représenté plus de 10% d’un organisme gouvernemental local en Égypte. Cependant, l’article 180 de la Constitution de 2014 stipule que les femmes devraient occuper un quart des sièges des gouvernements locaux [5].
Problèmes et entraves au changement
Dans les cinq districts du gouvernement de Louxor, les traditions, les coutumes ou même les croyances religieuses apparaissent à plusieurs reprises comme le principal obstacle à la participation dans la vie sociale et politique des femmes, qui dans beaucoup de cas vivent sous le contrôle de leur familles ou tribus. Ces traditions et coutumes sont souvent derrière la manque d’éducation chez les filles, l’augmentation des mariages des enfants ; l’interdiction pour les filles de quitter la maison par crainte d’une agression ; la croyance que l’engagement politique est réservé aux hommes ; idée que les femmes doivent rester à la maison, et la perception négative des femmes par la société, entre autres répercussions néfastes. L’un des plus importants problèmes qui a été abordé concernait les traditions et les coutumes ancestrales qui, dans les régions rurales et dans les villages, surtout dans le sud, n’incitent pas les femmes à quitter leur foyer car elles subissent un contrôle excessif (qui donne lieu à un manque de sensibilisation et d’éducation et à l’isolement des femmes). D’autre part, la perception que les femmes ont d’elles-mêmes demeure un problème constant. Même les femmes éduquées qui sont capables de remettre en cause les traditions se comparent souvent aux hommes. Le rôle des femmes n’est toujours pas reconnu par la société. Par exemple, lorsqu’un homme abandonne sa famille, la femme est félicitée car elle prend soin de ses enfants. Un dicton connu en Égypte souligne cet aspect et désigne les mères comme des femmes d’intérieur et les pères comme des vagabonds. Par ailleurs, et malgré l’existence de lois stipulant leurs droits de participer aux conseils locaux, les femmes ne sont pas formées pour le faire. Même si elles sont éduquées, les femmes disposant de compétences en matière de direction n’ont pas l’expérience nécessaire pour se présenter à des élections aux conseils et ne bénéficient toujours pas du soutien des institutions. Même lorsqu’elles sont pleinement conscientes de leurs droits et obligations, certaines femmes sont passives en ce qui concerne la revendication de leurs droits et leur participation active aux affaires publiques. A Louxor les organisations de la société civile ont été confrontées à un manque de coopération de la part des gouvernements égyptiens successifs. Il est nécessaire d’y remédier afin d’aider les citoyen-ne-s à bénéficier des services offerts par ces organisations.
Conclusion
Afin de favoriser l’accès des femmes aux élections et dans l’exercice du pouvoir locale l’ensemble des entités et personnes impliquées dans le diagnostic mené par NADRF ont proposé plusieurs pistes d’action pour le futur, dont :
- Former les femmes et leur fournir les outils dont elles ont besoin pour réussir et devenir des exemples à suivre pour d’autres femmes.
- Inviter les responsables des communautés à participer aux activités de plaidoyer et à soutenir les droits des femmes.
- Communiquer avec les partis politiques pour les inviter à soutenir les comités de femmes et à accroître la confiance accordée aux femmes qui représentent leurs partis dans tous les conseils locaux (au niveau des districts, des villages, des centres et des gouvernorats).
- Produire et diffuser des contenus dans les médias qui incitent la société à faire confiance aux femmes.
- Renforcer le rôle des OSC, des centres de jeunes et des organismes de prestation de services en vue d’accroître la sensibilisation sur le rôle que les femmes jouent au sein des communautés.
- Organiser dans les villages et les hameaux des réunions de sensibilisation qui attirent les jeunes en vue de les éduquer à l’importance du rôle des femmes.
- Mettre en valeur les caractéristiques positives des femmes dans le gouvernorat et les prendre en exemple lorsqu’elles bénéficient de leurs droits.