Les conditions de travail des femmes dans les usines en Jordanie
Article proposé et préparé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée
Date de publication: 26 mars 2019
Introduction
Conformément à l’Organisation Internationale du Travail, en Jordanie, 64% des hommes participent au marché du travail contre seulement 14% des femmes, d’après des estimations de 2018. [1] Cet article s’intéresse aux conditions de travail des femmes dans les usines, en prenant comme étude de cas la région de Zarqa où les perspectives de formation et de perfectionnement professionnel sont limitées, ce qui réduit les possibilités de promotion ainsi que l’accès des femmes aux postes à responsabilité au sein des usines.
L’article s’appuie sur un diagnostic de terrain portant sur la région de Zarqa, dans le nord-est du Royaume hachémite de Jordanie [2]. Cette étude a été produite par le Jordanian Forum for Business and Professional Women- Forum jordanien des femmes d’affaires et professionnelles (JFBPW) en collaboration avec la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée (FFEM) et l’Institut européen de la Méditerranée (IEMed). Le diagnostic fournit des données qui ont été collectées grâce à des réunions et entretiens avec les pouvoirs publics concernés par la thématique, d’une part, et les employées et propriétaires de cinq usines de la région, d’autre part.
En effet, la FFEM a pour vocation d’analyser au niveau local les réalités des femmes et les politiques publiques qui les concernent à l’aide de consultations et de dialogues de proximité. Pour ce faire, la FFEM met en place annuellement des pôles locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes en Algérie, Égypte, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine et Tunisie (1 par pays). Leur mission est de mobiliser les acteurs de l’égalité au moyen d’activités de collectes de données, de consultations et d’échanges d’expériences dans le but d’analyser des thèmes liés aux droits des femmes et de faire un suivi de l’effectivité des politiques publiques dans ces domaines avec une approche participative.
Toutes les informations liées aux résultats des pôles locaux sont disponibles sur www.euromedwomen.foundation, et font l’objet d’une vaste diffusion dans la région euro- méditerranéenne. En 2017, le JFBPW a été chef de file d’un pôle local d’acteurs de l’égalité femmes- hommes à Zarqa en Jordanie.
Accès à l’emploi des femmes en Jordanie
La Jordanie enregistre l’un des taux d’activité des femmes les plus faibles au monde d’après la Banque mondiale ; les taux élevés de chômage féminin qui en résultent sont en moyenne de l’ordre de 33,5% (13,7% chez les hommes). [3] Ces chiffres ne tiennent pas compte des personnes travaillant dans le secteur informel, parmi elles, de nombreuses femmes, et exacerbent les préjugés sexistes à l’égard de la présence des femmes sur le marché du travail. Toutefois, en raison du fort développement industriel de Zarqa, le taux de chômage des femmes dans cette région est parmi les plus faibles du pays. [4]
La constitution jordanienne consacre le principe de l’égalité en tant que garant du droit, néanmoins, de nombreuses lois et mesures contiennent des éléments discriminatoires à l’égard des femmes. [5] Dans la plupart des cas, ces normes concernent le marché du travail ainsi que les conditions de leur exercice. En Jordanie, il est interdit aux femmes de travailler dans certains domaines et les femmes n’ont pas le droit de travailler pendant la nuit.
En ce qui concerne les pensions, les femmes sont obligées de partir plus tôt à la retraite que les hommes dans le secteur public comme privé. En outre, les hommes reçoivent des allocations familiales en plus de leurs revenus, au détriment des femmes qui n’en bénéficient pas. [6]
Par ailleurs, les coutumes sociales du pays, souvent opposées aux principes d’égalité, exercent une forte influence sur l’accès des femmes au marché du travail. Dans le cas des usines, la société se montre peu encline à que les femmes occupent un emploi dans un tel environnement. L’accès à l’emploi des femmes est difficile : parmi les personnes ayant fait des études primaires, il y a 6 fois plus d’hommes que de femmes qui travaillent. [7] Pour les personnes ayant fait des études supérieures, la proportion va du simple au triple: le taux de chômage chez les femmes diplômées universitaires s’élève à 45 %, contre seulement 15 % chez les hommes.
Ce fossé entre femmes et hommes dans le marché du travail augmente dans les groupes démographiques les plus pauvres et les plus vulnérables tels que les travailleuses migrantes dans la mesure où les entreprises profitent de leur situation précaire pour mettre en place des pratiques d’exploitation. [8]
Conditions de travail dans les usines de Zarqa
Le diagnostic mené par le JFBPW a ciblé 82 travailleuses, âgées de 18 à 35 ans ayant en moyenne entre 5 mois et 2 ans d’ancienneté dans leurs fonctions. Plus de la moitié des femmes interrogées (60%), sont célibataires. [9]
En ce qui concerne les conditions de travail évoquées, un accent particulier a été mis sur l’environnement inadéquat et hostile qui caractérise la plupart des usines et le fait que plusieurs travailleuses ont été victimes de harcèlement sexuel dans la zone industrielle. [10] Le manque d’instructions et consignes claires de la part des employeurs concernant le travail à fournir est un autre problème cité par les enquêtées. Pareillement, les salles de travail sont des espaces sans ventilation et les employé-e-s ne disposent pas d’un uniforme. [11]
L’équilibre entre le travail et la vie privée des employées des usines à Zarqa est extrêmement compliqué. Il n’y a pas d’écoles maternelles dans la zone industrielle et les moyens de transport qui la desservent sont peu pratiques et peu sûrs. Ce déficit dans les infrastructures et les services est à l’origine de nombreux retards qui affectent négativement les femmes sous la forme de pénalités. [12] La difficulté de concilier la vie professionnelle et familiale incite souvent les femmes à quitter leur emploi.
Par rapport à leurs homologues masculins, les femmes qui travaillent dans les usines de Zarqa sont rémunérées 20 % de moins que les hommes occupant des fonctions identiques [13]. Le nombre excessif d’heures de travail, le manque de compétences et les faibles opportunités de formation affectent la productivité des femmes.
En outre, les propriétaires d’usines profitent de la situation vulnérable de nombreuses femmes migrantes pour imposer des conditions de travail indécentes allant jusqu’à 16 heures de travail. [14]
Il est par conséquent essentiel de sensibiliser les travailleuses sur leurs devoirs et leurs droits en tant que salariées dans les usines. Pour cela, il est nécessaire, d’une part, de mettre en œuvre des initiatives de formation qui assurent l’apprentissage des techniques de travail et favorisent leur développement professionnel. Et, d’autre part, il est urgent que les institutions publiques, les organisations de la société civile et les syndicats plaident en faveur de conditions de travail décentes pour l’ensemble des employé-e- s des usines. Dans cette même optique, les inspections de travail effectuant un suivi exhaustif des conditions dans les usines, sont présentées comme une mesure de contrôle qui favoriserait le respect du principe d’égalité femmes-hommes en termes de salaire, d’heures de travail ou de couverture médicale.
Conclusion
Les plus grand défis auxquels font face les femmes dans la région de Zarqa sont liés à la disparité entre elles et leurs homologues masculins. L’environnement de travail, la pression de la part des employeurs, le manque de transports fiables ainsi que les difficultés à concilier le travail et la vie personnelle et familiale conduisent souvent les femmes à abandonner leurs postes, ce qui reproduit un cercle vicieux de pauvreté.
En conclusion, sur le plan juridique, des changements fondamentaux sont désormais impératifs pour garantir l’égalité des droits et des opportunités d’accès à l’emploi entre les femmes et les hommes. La promotion de politiques inclusives et la lutte contre les pratiques discriminatoires doivent être des priorités dans l’agenda politique et requièrent davantage une plus forte collaboration entre les ministères, les syndicats, les organisations de la société civile et les autres partenaires du secteur privé en Jordanie.