L’accès des filles à l’éducation en Palestine : focus sur plusieurs localités de la « zone C»
Article proposé et préparé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée
Date de publication: 25 février 2019
Introduction
Conformément au Fond des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), en Palestine très peu d’enfants sont exclus de l’enseignement primaire tandis qu’à l’âge de 15 ans, près de 25% des garçons et 7% des filles ont abandonné leurs études. [1]
Cet article s’intéresse à l’accès à l’enseignement scolaire des filles dans la « Zone C » où la sécurité et les compétences administratives sont sous contrôle israélien depuis les Accords d’Oslo en 1993 [2] et notamment aux facteurs qui conduisent aux absences récurrentes et de façon consécutive à l’abandon scolaire.
L’article s’appuie sur un diagnostic de terrain, dans six localités de la « Zone C » à Bethléem (Al-Meniah, Al-Rashayida, Kisan) et Al Khalil[1] (Al-Bweeb, Ma’en et Zif) [3]. Cette étude a été produite par le Psycho-Social Counselling Center for Women (PSCCW) en collaboration avec la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée (FFEM) et l’Institut européen de la Méditerranée (IEMed).
En effet, la FFEM a pour vocation d’analyser au niveau local les réalités des femmes et les politiques publiques qui les concernent à l’aide de consultations et de dialogues de proximité. Pour ce faire, la FFEM met en place annuellement des pôles locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes en Algérie, Égypte, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine et Tunisie (1 par pays). Leur mission est de mobiliser les acteurs de l’égalité au moyen d’activités de collectes de données, de consultations et d’échanges d’expériences dans le but d’analyser des thèmes liés aux droits des femmes et de faire un suivi de l’effectivité des politiques publiques dans ces domaines avec une approche participative.
Toutes les informations liées aux résultats des pôles locaux sont disponibles sur www.euromedwomen.foundation, et font l’objet d’une vaste diffusion dans la région euro-méditerranéenne. En 2018, le PSCCW a été chef de file d’un pôle local d’acteurs de l’égalité femmes-hommes à Bethléem et Al Khalil en Palestine.
Accès à l’éducation dans la « Zone C »
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH ou OCHA) les territoires de la « Zone C » constitue plus de 60% de la Cisjordanie avec environ 297,9000 habitant-e-s. [4] Les communautés de cette zone se situent parmi les plus vulnérables des territoires palestiniens occupés en raison des restrictions de l’accès aux terres et aux ressources, de la mobilité et pour la construction et l’aménagement de bâtiments.
Ainsi, les conditions d’accès à l’éducation dans les six villages de la « Zone C » ciblés par le diagnostic de PSCCW [2] partagent une situation analogue, à savoir un manque généralisé d’institutions et un mauvais état des services éducatifs :
manque d’écoles maternelles, salles de classe inadaptées, problèmes d’éclairage, de ventilation et de bruits, carence de moyens de transport entre les différentes localités qui rend l’accès aux établissements d’enseignement difficile. Enfin, l’anxiété et le stress liés à la situation politique et sécuritaire ont aussi des répercussions sur la santé psychologique, en provoquant des problèmes familiaux qui, à leur tour, affectent les capacités d’étude et de concentration des élèves. Les recherches menées par PSCCW dans les communautés ciblées ont montré que l’absentéisme est un phénomène répandu et que la plupart des écoles enregistrent un fort taux d’abandon scolaire et de mauvais résultats scolaires. [5]
D’un autre côté, le système éducatif en Palestine a été historiquement contrôlé par de multiples puissances étrangères et ce n’est qu’en 1994 que l’Autorité Palestinienne a assumé la responsabilité et le contrôle de l’enseignement (cependant, officiellement, les institutions de l’Autorité palestinienne ne sont pas censées couvrir la zone C, ce qui fait que les services de base y font défaut).
Par ailleurs, pendant longtemps le peuple palestinien a considéré l‘éducation comme une stratégie d’adaptation, un moyen de résistance à la marginalisation, en particulier dans les camps de réfugié-e-s mis en place par les Nations Unies. Cependant, la crise politique et économique ajoutée aux conditions de vie et d’éducation instables font que les familles aient d’autres priorités que l’éducation de leurs enfants.
Obstacles et défis à l’accès des filles à l’éducation
Il faut d’abord signaler la situation politique caractérisée par les restrictions à la circulation ainsi que les démolitions d’immeubles et d’autres infrastructures, les attaques contre les écoles et le harcèlement envers les enseignant-e-s et les élèves par les soldats et colons israéliens, ajouté au manque de sécurité et aux arrestations (95% des nouveaux prisonniers sont des jeunes). Dans ce contexte, les facteurs institutionnels comme le nombre insuffisant de conseillers pédagogiques pour prévenir et gérer les absentéismes et l’abandon scolaire et le manque de ressources pour mettre en place des politiques éducatives de qualité sont des barrières importantes à l’achèvement des études par les filles. [6]
En Palestine 80% des filles complètent leur enseignement secondaire face à 60.5% des garçons. Néanmoins, seulement 19% des femmes ont un emploi contre 71% des hommes [7] de sorte que l’éducation ne remplit pas le rôle de mobilité sociale attendu et que les inégalités femmes-hommes persistent face à l’emploi.
La détérioration de la situation économique provoque de forts taux de chômage et une absence de perspectives d’emploi qui affecte particulièrement les filles et les femmes palestiniennes. [8] Cette précarité a des effets à 2 niveaux : les enfants, comme le reste de la famille, doivent assurer la survie économique et effectuer de nombreuses tâches liées à l’agriculture et l’élevage, ce qui réduit le temps disponible pour les études et contraint souvent les familles à se déplacer (les saisons de récolte de certains légumes et plantes offrent des occasions d’augmenter les revenus, y compris pour couvrir les dépenses scolaires). Par ailleurs, le fait que l’obtention de diplômes soit rarement récompensée par un emploi décourage les familles d’exiger que leurs enfants poursuivent leurs études au-delà du niveau secondaire.
Quant aux aspects culturels et traditionnels, les mariages de mineures, la responsabilité de prendre soin des personnes âgées et handicapées qui incombe aux femmes et les craintes concernant « l’honneur » au cas où les filles seraient attaquées sur le chemin de l’école ou le rejet des classes mixtes sont d’autres facteurs qui limitent les options d’émancipation des filles. [9] Dans ce système patriarcal, il faut aussi noter l’absence de modèles féminins de réussite dans les communautés, les taux de chômage chez les universitaires et les attentes par rapport aux choix d’études et des possibles carrières. Ainsi, le coût des frais d’inscription et l’accès à des universités situées loin du lieu de résidence limitent le choix des spécialités. La plupart des femmes interviewées par PSCCW ont étudié l’enseignement et les rares femmes diplômées qui ont décroché un emploi sont institutrices.
Conclusion
Globalement les possibilités d’éducation chez les filles dans les zones C sont limitées tant pour les filles comme pour les garçons. Le contexte politique et socio-économique, l’occupation israélienne et la baisse du niveau de vie ont un impact sur la qualité de l’enseignement. La crise politique influence particulièrement les communautés vivant dans les zones C qui sont plus marginalisées que les zones voisines (A et B) en ce qui concerne l’accès aux services et aux infrastructures (routes, transports publics…).
Pour pallier à ces obstacles, il est urgent de créer des programmes de prévention de l’abandon scolaire destinés aux élèves et leurs familles, des activités extra scolaires et des programmes d’éducation plus inclusifs pour réintégrer dans le système scolaire les élèves qui l’ont abandonné, des services de rattrapage ainsi que des actions de promotion de toutes les filières, y compris celles scientifiques, pour les étudiant-e-s. En outre, il s’avère nécessaire de renforcer le potentiel des universités locales pour résoudre ces problèmes en offrant des possibilités de formation, sensibilisation et emploi dans les communautés proches des lieux de résidence des étudiant-e-s. Dans ce sens, l’intervention du ministère palestinien de l’éducation et de l’enseignement supérieur pourrait permettre aux diplômé-e-s de trouver des emplois dans les écoles, dispensaires, etc. des communautés de la zone C qui offrent peu de débouchés jusqu’ici.
Références
[1] UNICEF, Middle East and North Africa out-of-school children initiative: State of Palestine fact sheet 2018 (Initiative en faveur des enfants non scolarisés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord: fiche sur l’État de Palestine), 2018, http://www.oosci-mena.org/uploads/1/wysiwyg/factsheets/180816_MENA_OOSCI_state_of_Palestine_factsheet_hi-res_.pdf
[2] Peace Agreements & Related, Israeli-Palestinian Interim Agreement on the West Bank and the Gaza Strip (Accords de paix et connexes, accord intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza (Oslo I & Oslo II), 1993: https://www.refworld.org/docid/3de5ebbc0.html. 1995: https://www.refworld.org/docid/3de5e96e4.html
[3] PSYCHO-SOCIAL COUNSELLING CENTER FOR WOMEN (PSCCW), Diagnostic de terrain: L’accès a l’éducation des filles dans six localités de la « Zone C » à Bethleem et Al Khalil, FFEM et IEMed, 2018, https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/8442/diagnostic-terrain-lacces-a-education-filles-dans-six-localites-zone-c-a-bethleem-al-khalil.
[4] PSCCW. Op. cit., p. 5.
[5] PSCCW. Op. cit., p. 12.
[6] PSCCW. Op. cit., p. 19.
[7] PSCCW. Op. cit., p. 15.
[8] PSCCW. Op. cit., p. 19.
[9] PSCCW. Op. cit., p. 15.
[1] Al Khalil est le nom de la ville d’Hébron en arabe.
[2] PSCCW a collaboré avec l’Université de Bethléem pour entreprendre des recherches de terrain dans six villages de Bethléem et d’Al-Khalil en impliquant le ministère palestinien de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (directions de l’éducation de Bethléem et d’Al Khalil), les élèves et le personnel des écoles locales et des membres actifs des communautés locales, notamment les chefs des conseils de village et des conseils des pères (lorsque ceux-ci existent) Parmi les principaux outils de collecte de données figuraient des entretiens individuels semi-structurés et des groupes de discussion qui ont permis de mieux comprendre les expériences des filles en matière de scolarisation, et de mettre leurs expériences en lien avec les intérêts des autres agents sociaux impliqués. Entre avril et juin 2018, 30 entretiens et 14 groupes de discussion avec des parents et des élèves ont été organisés dans les six localités (Al-Bweeb, Al-Meniah, Al-Rashayida, Kisan, Ma’en, Zif).