L’entrepreneuriat féminin en Algérie
Article proposé et préparé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée
Date de publication: 25 janvier 2019
Introduction
Selon l’Organisation mondiale du travail, les femmes sont à la tête d’un tiers des entreprises de l’économie formelle dans le monde [1]. Cependant, pour la majorité de celles qui opèrent dans les pays en développement il s’agit de très petites entreprises au potentiel de croissance limité. En effet, bien que l’entrepreneuriat féminin soit en plein essor [2], la sous-représentation des femmes dans les entreprises, toutes tailles confondues, est encore à déplorer. Cet article s’intéresse à l’entrepreneuriat féminin en Algérie et notamment aux facteurs qui limitent ou encouragent les femmes algériennes à entreprendre (par femme entrepreneur on entend aussi bien celles qui possèdent et/ou dirigent une entité juridique ainsi que les personnes physiques qui occupent une profession dite libérale ou indépendante). L’article s’appuie principalement sur deux diagnostics de terrain, l’un dans les communes d’Alger-centre et de Bouzaréah [3], et l’autre dans la wilaya (région) de Sétif [4]. Ces études ont été produites par l’Association des femmes en économie verte (AFEV) et Women in Business of Algeria (WIBA) en collaboration avec la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée (FFEM) et l’Institut européen de la Méditerranée (IEMed). En effet, la FFEM a pour vocation d’analyser au niveau local les réalités des femmes et les politiques publiques qui les concernent à l’aide de consultations et de dialogues de proximité. Pour ce faire, la FFEM met en place annuellement des pôles locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes en Algérie, Égypte, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine et Tunisie (1 par pays). Leur mission est de mobiliser les acteurs de l’égalité au moyen d’activités de collectes de données, de consultations et d’échanges d’expériences dans le but d’analyser des thèmes liés aux droits des femmes et de faire un suivi de l’effectivité des politiques publiques dans ces domaines avec une approche participative. Toutes les informations liées aux résultats des pôles locaux sont disponibles sur www.euromedwomen.foundation, et font l’objet d’une vaste diffusion dans la région euro-méditerranéenne. En 2017 et 2018, l’AFEV et WIBA ont été chacune chef de file d’un pôle local d’acteurs de l’égalité femmes-hommes© à Alger et Sétif respectivement.
L’entrepreneuriat féminin en Afrique
Selon une étude réalisée par Women in Africa Philanthropy (WIA Philanthropy), les femmes africaines détiennent le taux de création d’entreprises le plus élevé au monde. Ainsi, 24% des Africaines se lancent dans la création d’entreprises, soit un taux plus élevé que ceux enregistrés en Amérique latine et Caraïbes (17%), en Amérique du Nord (12%) et en Europe et Asie centrale (8%) [5]. Pourtant, d’après la même étude, il existe un écart significatif entre l’Afrique subsaharienne (26%) et l’Afrique du Nord (8%), qui serait dû à des différences socio-économiques, culturelles et religieuses. En Algérie, les femmes entrepreneures ne constituent que 19% de la main d’œuvre féminine contre 30,9% chez les hommes [6]. Selon les statistiques du Centre national du registre de commerce (CNRC) de 2017, les femmes inscrites en tant que propriétaires d’entreprises (personnes morales) ne représentent que 6% du total des propriétaires d’entreprises dans le pays [7].
Obstacles et défis à l’entrepreneuriat féminin en Algérie
Dès son indépendance en 1962, l’État algérien a pris des mesures pour assurer l’égalité des femmes et des hommes devant la loi et un accès égal à l’éducation, à la formation et à l’emploi. La consécration de la représentation politique des femmes s’est concrétisée par la loi organique du 12 janvier 2012 qui stipule que « l’État œuvre à la promotion des droits politiques de la femme en augmentant ses chances d’accès à la représentation dans les assemblées élues » [8]. Au niveau de la scolarisation, d’après les données de l’Office National des Statistiques (ONS), les filles sont plus nombreuses que les garçons à réussir l’examen de passage à l’université après l’obtention de leur baccalauréat. Selon le Ministère de l’enseignement supérieur algérien, entre 2006 et 2010, 59% des inscrit-e-s en préparation d’une licence étaient des filles. La constitution garantit la non-discrimination à l’embauche et l’égalité salariale. Elle prévoit aussi des dispositions contre le harcèlement sexuel [9]. L’ONS constate aussi une forte croissance de l’emploi féminin, qui représentait 5.2% de la population active totale en 1971, alors qu’il a atteint le taux de 17.4% en 2017 [10]. Néanmoins, malgré la volonté de l’État d’inclure les femmes dans le secteur économique à travers la Constitution, les lois, et les différents mécanismes d’encouragement à l’entrepreneuriat, beaucoup de femmes dans le pays vivent dans un environnement conservateur qui freine leur autonomisation économique. Cela les amène à développer des activités économiques dans d’autres communes ou quartier que leur commune de résidence. D’après des enquêtes impliquant 325 femmes dans le cadre des diagnostics cités au début de l’article, de nombreuses femmes ont une image négative des femmes entrepreneures. En effet, certaines se montrent réticentes à l’idée de se lancer dans l’entrepreneuriat par peur de manquer au rôle et aux tâches domestiques qui leur sont traditionnellement « assignés ». Ainsi, il semble qu’il y ait en Algérie une structure sociétale complexe où coexistent plusieurs modèles de société. L’un est traditionnel et s’inspire du droit musulman, y compris en ce qui concerne le droit privé, par exemple, lorsqu’il s’agit de la moralité des personnes, de l’héritage (la femme n’a droit qu’à la moitié de la part de l’homme)… D’un autre côté, il existe un projet de société d’obédience socialiste, héritier de l’indépendance, qui revendique l’égalité des sexes dans les droits et les devoirs de chacun-e [11]. L’application du système juridique qui reflète à la fois la culture arabo-musulmane ainsi que l’option socialiste choisie à l’époque par les autorités publiques, est donc perçue juste par certain-e-s et injuste par d’autres, selon que les personnes se revendiquent d’une société traditionnelle ou pas. Sur le plan économique, la wilaya de Sétif se distingue par rapport à d’autres wilayas par son dynamisme économique et commercial renforcé par l’existence de plusieurs pôles universitaires, et de centres de formation professionnelle et d’enseignement spécialisés. Cette région enregistre une insuffisante participation des femmes dans la sphère économique qui est similaire aux autres régions mais l’on y constate une forte intention entrepreneuriale parmi les jeunes femmes [12].
Les enquêtes menées auprès des femmes porteuses de projet et/ou ayant créé leur entreprise ont mis à jour les principaux obstacles pour démarrer une entreprise à savoir : l’accès au financement (exigences de garantie, taux d’intérêt, etc.), le faible soutien familial, les lacunes en management et marketing et la difficulté à constituer une clientèle pour assurer le développement et l’expansion de leur entreprise. Un autre constat est que de nombreuses femmes entrepreneures s’orientent vers des secteurs dits « traditionnellement féminins » tels que les services à la personne, la vente de produits de bien-être, la couture, la confection et la vente de gâteaux, etc. [13]. Même s’il existe des entreprises féminines dans la publicité, le tourisme ou l’industrie, les femmes restent insuffisamment représentées dans ces secteurs. En outre, bien que chaque wilaya soit dotée d’une direction de l’Agence nationale de gestion du Micro-crédit en Algérie (ANGEM) qui prend en charge la formation et le soutien aux porteurs de projets, seulement 46% des entrepreneur-e-s est bénéficiaire de ce type de dispositifs. De façon plus générale, l’importance d’impliquer les pouvoirs locaux et les associations de terrain dans la sensibilisation des femmes sur les avantages de l’entrepreneuriat, notamment dans des secteurs comme l’économie sociale et solidaire, a été soulignée. Lors des enquêtes, certaines femmes ont évoqué la crainte du harcèlement sexuel de la part de leurs client-e-s et fournisseur-e-s. Il a aussi été recommandé de rendre plus visibles dans les médias les femmes entrepreneures ayant réussi et de créer des réseaux locaux de femmes entrepreneures pour faciliter l’échange d’informations, la solidarité et en encourager d’autres à investir.
Conclusion
Les plus grands défis auxquels font face les femmes désirant créer une entreprise sont la peur de se lancer lié à l’image négative des femmes entrepreneures dans la société, les faibles moyens financiers et le manque de soutien de l’entourage. Outre le contexte social et culturel qui, en général, n’encourage pas l’autonomisation des femmes, il y a un manque de formation en gestion d’entreprise qui conduit à des difficultés pour fidéliser la clientèle. Pour pallier à ces contraintes, il est urgent d’augmenter l’information sur les structures d’accompagnement et incubateurs de l’Etat ainsi que les avantages fiscaux disponibles [14] et que les autorités et les associations locales s’impliquent activement dans la dynamisation de l’entrepreneuriat féminin car elles sont proches des habitant-e-s et connaissent la réalité du terrain. De nombreuses femmes souhaitant travailler ne connaissent pas les opportunités de formation et le potentiel de secteurs comme l’économie verte ou l’agroalimentaire qui restent peu explorés. Les personnes impliquées dans les diagnostics conduits par les associations AFEV et WIBA ont aussi préconisé d’introduire, dès l’école primaire, des activités ludiques sur l’entrepreneuriat qui intègrent des femmes entrepreneures locales et d’inclure davantage de modules consacrés à l’entrepreneuriat dans les différents niveaux d’enseignement universitaire et de formation professionnelle.
Références
[1] ORGANISATION MONDIALE DU TRAVAIL, Le développement de l’entrepreneuriat féminin : encourager les femmes entrepreneurs pour l’emploi et le développement, 2016, https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—ed_emp/—emp_ent/—ifp_seed/documents/publication/wcms_183754.pdf). [2] « Selon l’étude du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) édition 2016-2017, 163 millions de femmes dans le monde ont créé une entreprise et 111 millions en dirigent une déjà constituée. Un chiffre en progression de 10 % depuis l’édition 2014-2015 et qui se rapproche des taux masculins », d’après la FONDATION TRAVAILLER AUTREMENT, https://www.fondation-travailler-autrement.org/2017/12/04/entrepreneuriat-feminin-progresse-partout-dans-le-monde/. [3] ASSOCIATION DES FEMMES EN ÉCONOMIE VERTE (AFEV), Diagnostic de terrain : Pour l’inclusion des acteurs locaux dans la promotion de l’entrepreneuriat féminin à Alger, FFEM et IEMed, 2017, https://docs.euromedwomen.foundation/files/ermwf-documents/7421_entrepreneuriatfemininalgerfr.pdf. [4] WOMEN IN BUSINESS OF ALGERIA (WIBA), Diagnostic de terrain : Développer l’entrepreneuriat féminin dans la wilaya de Sétif, FFEM et IEMed, 2018, https://docs.euromedwomen.foundation/files/ermwf-documents/8303_developperl’entrepreneuriatfemininfr.pdf. [5] WOMEN IN AFRICA PHILANTHROPY, Women in Africa Entrepreneurship: A path to women empowerment?, 2018, https://wia-initiative.com/wp-content/uploads/z-press/WIA_Women_Empowerment.pdf. [6] AFEV. Op. cit., p. 13. [7] WIBA. Op. cit., p. 14. [8] WIBA. Op. cit., p. 12. [9] AFEV. Op. cit., p. 11. [10] OFFICE NATIONAL DES STATISTIQUES (ONS), http://www.ons.dz/IMG/Emploi%20Avril%202017.pdf. [11] AFEV. Op. cit., p. 15. [12] WIBA. Op. cit., p. 27. [13] AFEV. Op. cit., p. 19. [14] WIBA. Op. cit., p. 28.