Harcèlement sexuel : quelles réponses juridiques suite à l’affaire Weinstein ?
Table des matières
- 1 L’affaire Weinstein : chronique d’un séisme mondial
- 2 Changer la relation au corps de la femme dans l’espace public en verbalisant le harcèlement de rue
- 3 Le traitement du harcèlement sexuel aux États-Unis
- 4 Les clauses de confidentialité dans la mire des autorités américaines
- 5 Lois sur le harcèlement sexuel au travail : en finir avec l’impunité
- 6 Quand le harcèlement sexuel se répand sur la toile
- 7 Sources
L’affaire Weinstein : chronique d’un séisme mondial
L’affaire Harvey Weinstein, du nom du producteur américain accusé par une douzaine d’actrices en octobre 2017 aux États-Unis de harcèlement sexuel mais aussi d’agressions et de viols, a créé une prise de conscience mondiale. Depuis le début de cette affaire, les langues se délient et les situations sont mises en lumière notamment par les nombreux témoignages d’actrices ou d’anonymes sur les réseaux sociaux grâce aux mouvements #MeToo ou #BalanceTonPorc. Même si toutefois, comme l’affirme la directrice d’ONU Femmes Phumzile Mlambo-Ngcuka dans un récent entretien, ces témoignages ne représenteraient en réalité que la « partie visible de l’iceberg » (The Guardian, 2018).
Tous les quatre ans, le centre de Développement de l’OCDE publie une base de données sur les lois qui protègent les femmes notamment contre la violence, dans le cadre d’un rapport intitulé « Social Institutions and Gender Index (SIGI) ». Son édition 2018 révèle que sur les 180 pays couverts par l’étude, , 149 pays ont actuellement une loi sur le harcèlement sexuel (OCDE, 2018). Mais face à l’émoi qu’a suscité l’affaire Weinstein, plusieurs États se sont d’ores et déjà saisie de la problématique afin de mieux y faire face et protéger les victimes que ce soit dans le milieu du travail mais aussi dans l’espace public car la question du harcèlement sexuel touche toutes les sphères de la vie sociale.
Changer la relation au corps de la femme dans l’espace public en verbalisant le harcèlement de rue
C’est notamment le cas de la France, qui dans un projet de loi présenté en mars 2018 par la Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, propose d’inscrire la notion de harcèlement de rue dans la loi ainsi que de créer une nouvelle infraction « l’outrage sexiste » verbalisable par les agents publics et passible d’amende (Secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, 2018). Actuellement en France, depuis la loi n°2012-954 de 2012, le harcèlement sexuel[1] est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende (Code Pénal, Article 222-33). En revanche, la législation ne fait actuellement pas mention du harcèlement que les femmes peuvent subir dans la rue. Cette nouvelle loi serait donc une avancée importante, mais également nécessaire. En effet, une enquête de la Fondation Jean Jaurès réalisée en 2017 confirme l’ampleur des pratiques de harcèlement subies par les femmes en France et plus particulièrement dans la rue. Dans cette étude, 8 femmes sur 10 interrogées déclarent avoir des craintes pour leur intégrité physique lorsqu’elles sont dans la rue ou dans les transports (Fondation Jean Jaurès, 2017).
Le harcèlement de rue, loin d’être un phénomène isolé, est un fléau qui touche les femmes à l’échelle planétaire. Et d’autres pays, n’ont pas attendu l’éclatement du scandale Weinstein pour se saisir du problématique. Par exemple, le Pérou a voté dès 2015 une loi visant à reconnaître le harcèlement sexuel dans la rue comme un délit. Elle prévoit notamment des peines allant jusqu’à 12 ans de prison pour toute forme aggravée de harcèlement de rue (notamment si la victime a moins de 14 ans et si l’acte est dégradant ou provoque des dommages à sa santé physique et mentale). Pour ceux qui s’adonnent à des attouchements ou commettent des attentats à la pudeur dans les transports publics, une peine d’au moins trois ans de prison est appliquée (Ley para prevenir y sancionar el acoso sexual en espacios públicos, 2015).
Le traitement du harcèlement sexuel aux États-Unis
De l’autre côté de l’atlantique, aux États-Unis, là où a éclaté l’affaire Weinstein, la question du harcèlement sexuel fait également débat. D’autant plus que contrairement à ce que l’on pourrait croire, le harcèlement sexuel[2] aux États-Unis, s’il est sanctionné par le droit du travail, n’est pas réprimé sur le plan pénal par le droit fédéral. D’ailleurs, le droit du harcèlement sexuel aux États-Unis, d’origine jurisprudentielle, ne s’est développé que tardivement. En 1964, le titre VII du Civil Rights Acts, loi-phare de l’ère de la conquête des droits civiques, interdit toute discrimination fondée sur le sexe. En revanche, ce texte ne mentionne pas explicitement le concept de harcèlement sexuel. Ce n’est que bien plus tard, en 1980, que l’Equal Employment Opportunity Commission (« EEOC »), adopte des directives traitant expressément du harcèlement sexuel et précisera les contours de l’infraction (EEOC Guidelines on Discrimination Because of Sex, 1980). En 1998, on assiste à un nouveau tournant, la Cour suprême imposera des règles strictes à la reconnaissance du harcèlement sexuel au travail : celui-ci devant être « suffisamment grave ou envahissant pour altérer les conditions de travail » (Oncale v. Sundowner Offshore Services, Inc., et al, 1998).
Les clauses de confidentialité dans la mire des autorités américaines
Cependant, cette jurisprudence plutôt rigide de la Cour suprême sur le harcèlement sexuel ainsi que les réponses apportées par les employeurs sont depuis de nombreuses années la cible de critiques nourries aux États-Unis. Et suite à l’éclatement du scandale Weinstein, plusieurs États ont décidé de s’attaquer au problème. L’État de Washington notamment, par le biais d’une loi qui entrera en vigueur en Juin 2018, a adopté plusieurs dispositions visant à encourager les plaintes contre le harcèlement sexuel au travail. Plus particulièrement en interdisant les règlements à l’amiable (relativement courants dans ce genre de cas) et en rendant illégales les clauses de confidentialité portant sur des faits de harcèlement sexuel (Lexology, 2018). Selon le Economic Policy Institute, plus de la moitié des salariés américains auraient, dans leur contrat de travail, ce genre de clause (Economic Policy Institute, 2017). Et celles-ci ont actuellement très mauvaise presse, car elles sont accusées d’avoir favorisé et prolongé l’omerta autour de l’affaire Weinstein. Dans l’état de New York, un projet de loi adopté par le parlement en Mars 2018 est actuellement en attente de signature du gouverneur de l’État et permettrait d’adopter des protections similaires pour lutter contre ce type de clauses dans les contrats de travail (The New York Times, 2018).
Lois sur le harcèlement sexuel au travail : en finir avec l’impunité
Traditionnellement, la notion de harcèlement sexuel a souvent été associée au milieu du travail car elle est intimement liée aux relations de pouvoir et de hiérarchie. Malgré des avancées considérables à travers le monde dans ce domaine ces dernières années et en particulier dans trois pays : le Cameroun (Loi 2016/007 2016, Art 302), l’Iraq (Code du Travail de 2015, Arts 10-11) et l’Afghanistan (Loi sur l’interdiction du harcèlement des femmes, 2015, Arts 2, 3, 12 & 13) qui ont adopté en 2015 et 2016 leurs premières lois criminalisant le harcèlement sexuel dans le milieu du travail, la situation dans le monde reste alarmante. C’est ce que révèle l’étude Social Institutions and Gender Index 2018 de l’OCDE : 29 pays n’offrent aucune forme de protection juridique face au harcèlement sexuel au travail. Parmi les 180 pays étudiés, 5 sur 6 des pays de la région Afrique du Nord et 7 sur 18 pays de la région Asia de l’Ouest font partie des pays n’ayant aucune loi traitant du harcèlement sexuel au travail. Parmi les pays de l’OCDE, seul le Japon n’a aucune législation sur le sujet (OCDE, 2018).
Quand le harcèlement sexuel se répand sur la toile
Le harcèlement sexuel peut également se produire dans d’autres sphères y compris sur internet. Très peu de pays -même ceux appartenant au groupe de l’OCDE- ont actuellement une législation visant spécifiquement à lutter contre cette forme de harcèlement pourtant de plus en plus répandue avec l’avènement des réseaux sociaux. Certains pays ont néanmoins commencé à mettre en place des législations spécifiques permettant de mieux protéger et répondre aux besoins des victimes. C’est notamment le cas de Singapour qui en 2014, a fait passer une loi criminalisant le harcèlement en ligne et la cyberintimidation. En plus du recours pénal, il permet également aux victimes de déposer une demande d’ordonnance de protection (Protection from Harassment Act 2014, Art 3).
Sources
Afghanistan Loi sur l’interdiction du harcèlement des femmes (2015), http://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/ELECTRONIC/102063/123256/F2064230249/AFG102063.pdf (consulté le 12 mai 2018)
Cameroun Loi 2016/007 (2016), http://www.droit-afrique.com/uploads/Cameroun-Code-2016-penal1.pdf (consulté le 12 mai 2018)
Civil Rights Acts (1964), Title VII, https://www.eeoc.gov/laws/statutes/titlevii.cfm (consulté le 12 mai 2018)
Economic Policy Institute (2017), The growing use of mandatory arbitration, https://www.epi.org/publication/the-growing-use-of-mandatory-arbitration/ (consulté le 12 mai 2018)
EEOC Guidelines on Discrimination Because of Sex (1980), https://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CFR-2011-title29-vol4/xml/CFR-2011-title29-vol4-part1604.xml (consulté le 12 mai 2018)
Fondation Jean Jaurès (2018), Les inégalités femmes-hommes dans la société française, https://jean-jaures.org/nos-productions/les-inegalites-femmes-hommes-dans-la-societe-francaise (consulté le 3 Avril 2018)
Iraq Code du Travail (2015), http://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/MONOGRAPH/96652/114261/F-218842884/IRQ96652%20Eng.pdf (consulté le 12 mai 2018)
Lexology (2018), Washington Lawmakers Aim to Stop Workplace Sexual Harassment and Close Gender Pay Gaps, https://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=a23c0203-5fcd-4948-98d5-bb059623b04d (consulté le 3 Avril 2018)
Ley para prevenir y sancionar el acoso sexual en espacios públicos (2015), http://www.elperuano.com.pe/NormasElperuano/2015/03/26/1216945-2.html (consulté le 12 mai 2018)
Loi n°2012-954 (2012), Article 1 https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=9C3191308FAC34331FB6730133AFCF8F.tplgfr38s_2?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIARTI000026268200&dateTexte=20180516&categorieLien=id#LEGIARTI000026268200 (consulté le 12 mai 2018)
Oncale v. Sundowner Offshore Services, Inc., et al (1998), https://supreme.justia.com/cases/federal/us/523/75/ (consulté le 12 mai 2018)
Secrétariat d’État chargé de l’Egalite entre les femmes et les hommes (2018), Le projet de loi vient compléter un arsenal inédit de mesures pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2018/03/CP-Le-projet-de-loi-vient-completer-un-arsenal-inedit-de-mesures-.pdf (consulté le 3 Avril 2018)
Singapore, Protection from Harassment Act (2014), https://sso.agc.gov.sg/Act/PHA2014 (consulté le 12 mai 2018)
The Guardian (2018), Women sex abuse cases tip of iceberg: UN, http://www.theguardian.com.au/story/5273964/women-sex-abuse-cases-tip-of-iceberg-un/?cs=5 (consulté le 3 Avril 2018)
The New York Times (2018), New York rewrites harassment laws, but some say the changes fall short, https://www.nytimes.com/2018/03/30/nyregion/new-york-revised-sexual-harassment-laws.html (consulté le 3 Avril 2018)
Lectures Complémentaires
ONU Femmes (2018), « J’ai appris à respecter les femmes » – Les chauffeurs de tuk-tuk unissent leurs efforts pour rendre les rues du Caire plus sûres pour les femmes, http://www.unwomen.org/fr/news/stories/2018/1/feature–egypt-tuk-tuk-drivers-join-efforts-to-make-the-streets-safe (consulté le 28 mai 2018)
UNESCO (2018), Éducation sexuelle complète pour prévenir la violence basée sur le genre, https://fr.unesco.org/news/education-sexuelle-complete-prevenir-violence-basee-genre (consulté le 28 mai 2018)
Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (2018), Contribution relative à la verbalisation du harcèlement dit « de rue », http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_contribution_relative_a_la_verbalisation_hdr_20180319.pdf (consulté le 28 mai 2018)
Organisation panaméricaine de la santé (2012), Violence against Women in Latin America and the Caribbean: A comparative analysis of population-based data from 12 countries, http://iris.paho.org/xmlui/handle/123456789/3471 (consulté le 28 mai 2018)
WHO and United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC) (2015), Strengthening the medico-legal response to sexual violence, http://www.who.int/reproductivehealth/publications/violence/medico-legal-response/en/, (consulté le 28 mai 2018)
[1] Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. (Code Pénal, Article 222-33)
[2] Le harcèlement sexuel est défini comme un « comportement de nature sexuelle non désiré » (Code of Federal Regulations, PART 1604—Guidelines on discrimination because of sex, Sec. 1604.11)