Le travail non rémunéré des femmes
Définition
Le travail non rémunéré constitue la part de travail domestique qui augmente indirectement les revenus du foyer, sans que les personnes qui l’effectuent ne bénéficient de rémunération. La différence entre travail domestique non rémunéré et loisir est définie en fonction du critère du « tiers ». Si un tiers peut être rémunéré pour réaliser l’activité concernée, on considère alors qu’il s’agit d’un travail. La cuisine, le ménage, la garde des enfants, la lessive et le jardinage sont des exemples de travail non-rémunéré. [1]
Recherches et travaux sur le sujet
La notion de travail domestique a été développée dans les années 1960 par Gary Stanley Becker, un économiste américain. [2] Auparavant, ces tâches n’étaient considérées ni comme un travail ni comme un loisir. Les mouvements féministes des années 70 ont participé à l’affirmation du travail domestique comme un « travail » en tant que tel. [3] La notion de travail domestique a progressivement été élargie pour permettre d’englober les travaux non rémunérés réalisés hors de la sphère domestique et comme outil d’analyse des inégalités entre les hommes et les femmes. La plupart du travail non rémunéré étant réalisé par les femmes, l’expression « travail non rémunéré des femmes » est largement employée. L’ONG ActionAid et Bridge, le service de recherche et d’information spécialisé en genre et développement de l’Institute of Development Studies (IDS) du Royaume-Uni ont réalisé de nombreux travaux sur cette thématique. [4, 5]
Le travail non-rémunéré des femmes a longtemps été invisible, tant dans les calculs économiques que dans les décisions politiques. En octobre 2013, lors de la 68è session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, Magdalena Sepúlveda, la Rapporteuse spéciale sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, présente un rapport sur cette thématique et mentionne que la non reconnaissance du travail non rémunéré est une atteinte aux droits fondamentaux. [6] Le rapport y dénonce une forme de travail peu reconnue, effectuée principalement par les femmes sans qu’elles ne profitent de ses bénéfices. Par ailleurs le travail non rémunéré renforce la vulnérabilité des femmes à la pauvreté, puisqu’elles n’ont pas suffisamment de temps pour entreprendre d’autres activités génératrices de revenus. [7] La Rapporteuse spéciale sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme incite les États à prendre toutes les mesures nécessaires de sorte que le travail domestique non rémunéré n’ait pas de conséquences négatives pour les femmes quant à l’exercice de leurs droits fondamentaux, et veiller à ce que les conditions soient réunies pour respecter l’égalité entre hommes et femmes. [6]
Quelques chiffres
En 2011, à situations socio-économiques équivalentes, hommes et femmes d’un même foyer ne fournissent en moyenne pas la même somme de travail non rémunéré, les rapports varient entre les pays. Quel que soit le pays, les femmes consacrent davantage de temps que les hommes au travail non rémunéré avec un écart de 2.5 heures en moyenne par jour. [1] En 2015, en Norvège, les hommes consacrent 180 minutes par jour au travail domestique et les femmes 210 minutes tandis qu’en Corée, la part de travail domestique des hommes est estimée à 45 minutes par jour, alors que les femmes y consacrent 227 minutes. L’écart est encore plus significatif en Inde où les femmes passent 352 minutes à effectuer des travaux non rémunérés tandis que les hommes 52 minutes. [8]
Mesure du travail non rémunéré
La mesure du travail non rémunéré constitue un enjeu et est indispensable pour comprendre sa contribution et son impact économique dans la société. [9] En général, la mesure de la part du travail non rémunéré s’effectue à partir d’enquêtes via un journal de 24 heures sur les emplois du temps des populations actives. En principe, ces enquêtes couvrent une année entière et comportent une proportion représentative de jours ouvrés et non ouvrés, ainsi que de jours fériés et de vacances scolaires. Certains pays ne couvrent que des périodes particulières de la semaine ou de l’année afin d’éviter les biais saisonniers induits. [1] Cependant, les travaux non rémunérés s’effectuent principalement dans la sphère privée (le ménage) et sont une production non marchande, ce qui les rend invisibles et donc plus difficilement mesurables. [9]
Impact économique
Le travail non rémunéré des femmes a un impact économique important sur les sociétés. En effet, incluant les tâches domestiques (préparation des repas, ménage, lessive, approvisionnement en eau et en carburant) et les soins apportés aux personnes (enfants, personnes âgées, personnes en situation de handicap), menés dans les foyers et au sein des communautés, le travail non rémunéré des femmes contribue au bien-être et au développement social et économique de toutes les sociétés. [1] Cependant, la répartition genrée de ces tâches a également des conséquences économiques négatives. Par exemple, la réduction de la part du travail non rémunéré des femmes pourrait augmenter la productivité agricole de 15% et la productivité du capital de 44 % dans certains pays. Selon le Fonds monétaire international, il y aurait des gains macroéconomiques importants si les femmes étaient en mesure d’accroitre leurs possibilités d’effectuer des travaux rémunérés. [10] Selon la Rapporteuse spéciale sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme à l’ONU, Magdalena Sepúlveda, « les prestations de soins non-rémunérées sont au fondement de toute société et déterminantes pour la croissance économique et le développement social. (…) Toutefois, elles ont souvent été négligées ou tenues pour acquises par les décideurs politiques, ce qui a eu un impact énorme sur la pauvreté des femmes et l’exercice de leurs droits ». [6]
Mention dans les ODD
Le travail non rémunéré des femmes est mentionné dans la cible 5.4 des Objectifs de développement durable (ODD) « Faire une place aux soins et travaux domestiques non rémunérés et les valoriser, par l’apport de services publics, d’infrastructures et de politiques de protection sociale et la promotion du partage des responsabilités dans le ménage et la famille, en fonction du contexte national ». [11]
Références
- « Cuisiner, s’occuper des enfants, construire ou réparer : le travail non rémunéré à travers le monde », Panorama de la société 2011, Les indicateurs sociaux de l’OCDE, OCDE, 2011, http://www.oecd.org/fr/els/soc/48448172.pdf
- Becker Gary Stanley (1965), « A Theory of the Allocation of Time », Economic Journal, vol. 75, n°299, pp. 493-517.
- Delphy Christine, « Par où attaquer le ’partage inégal’ du ’travail ménager’ ? », Nouvelles questions féministes, volume 22, n° 3, 2003, Editions Antipodes, consultable sur Les mots sont importants, http://lmsi.net/Le-travail-menager-son-partage
- ActionAid, “Making care visible, Women’s unpaid care work in Nepal, Nigeria, Uganda and Kenya, 2013, (en anglais), http://www.actionaid.org/sites/files/actionaid/making_care_visible.pdf
- Bridge, “En Bref: Genre et soins aux personnes”, Le bulletin de Bridge n°20, avril 2009, http://docs.bridge.ids.ac.uk/vfile/upload/4/document/1105/EnBref20.pdf
- Sepúlveda Carmona Magdalena, “Report of the Special Rapporteur on Extreme Poverty and Human Rights: Unpaid Care Work and Women’s Human Rights”, 9 octobre 2013, (en anglais), http://ssrn.com/abstract=2437791
- Roman Diane, « Travail domestique non rémunéré et droits des femmes : l’apport des droits humains », [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 2 décembre 2013, http://revdh.org/2013/12/02/extreme-pauvrete-et-droits-humains-travail-domestique-droits-des-femmes/
- OCDE, base de données GID-DB, (Social protection and Well-being > Gender > employment > Time spent in paid and unpaid work, by sex, consulté le 14/01/16), http://stats.oecd.org/
- OCDE, Wikigender, « Unpaid Care work », (en anglais, consulté le 16/02/16), http://www.wikigender.org/wiki/unpaid-care-work/
- Fonds monétaire international, « Women, Work, and the Economy: Macroeconomic Gains from Gender Equity », 2013, (en anglais), https://www.imf.org/external/pubs/ft/sdn/2013/sdn1310.pdf
- Site Internet des Nations Unies sur les Objectifs de développement durable (ODD), (consulté le 14/01/16), http://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/gender-equality/
Liens externes
Centre d’actualités de l’ONU,« Le travail non rémunéré des femmes au foyer, un «enjeu majeur des droits humains», selon une experte de l’ONU », 24 octobre 2013, http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=31376#.Vcsvcvnm7zE
United Nations Human Rights – Office of the High Commissioner for Human Rights, “Unpaid work, poverty and women’s human rights”, (en anglais), http://www.ohchr.org/EN/Issues/Poverty/Pages/UnpaidWork.aspx