Accès des femmes à l’espace public
Contexte et définitions
Les libertés civiles au sens large font partie des droits les plus fondamentaux des individus. La liberté d’expression, de mouvement, d’assemblée, et plus généralement de participer à la vie publique, sont ainsi reconnus dans de nombreux instruments juridiques internationaux comme la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979).
Bien souvent pourtant, les femmes ne bénéficient pas du même accès à l’espace public que les hommes en raison de lois, normes sociales et pratiques qui restreignent leur liberté de mouvement, d’association et de participation à l’action collective (Jones et al, 2010).
Les espaces publics peuvent se définir comme des sites qui sont accessibles à tous sans but lucratif et pouvant prendre différentes formes spatiales : parcs, rues, marchés, etc. (UN Habitat, n.d.). Or dans de nombreuses sociétés, une femme « respectable » n’est pas censée s’aventurer seule dans les rues et autres lieux publics. Les femmes qui enfreignent ces règles peuvent s’exposer au stigma, voire au harcèlement et à la violence.
L’espace public ne se limite pas à des espaces physiques, il est aussi et le lieu du débat politique, des interactions sociales et de la pratique démocratique (Paquot, 2009). Dans cette acception du terme également, l’accès des femmes est restreint. L’expression publique des femmes, à plus forte raison leur engagement dans un mouvement social ou politique, demeure souvent taboue.
L’indicateur « Institutions Sociales et Égalité femme-homme » (SIGI en anglais) élaboré par le Centre de développement de l’OCDE intègre parmi les différentes variables prises en compte le niveau d’accès des femmes à l’espace public. Le SIGI mesure ainsi dans près de 160 pays si les femmes « font face à des restrictions à leur liberté de mouvement et d’accès à l’espace public, telles que la capacité restreinte de choisir leur lieu de résidence, de rendre visite à leurs familles et amis ou de faire une demande de passeport » (Centre de Développement de l’OCDE, 2014 ; SIGI site web, n.d).
Dimensions de l’accès des femmes à l’espace public
Les dimensions de l’accès des femmes à l’espace public sont multiples. On peut citer entre autres exemples :
La déclaration de naissance
L’absence de déclaration de naissance peut constituer le premier obstacle à l’accès des femmes et des filles à l’espace public. Véritable « passeport pour la citoyenneté et la participation à la société », la déclaration à la naissance permet une reconnaissance par l’État de l’existence de l’enfant, sans laquelle celle-ci reste sinon invisible (Jones et al, 2010).
La liberté de mouvement
Dans de nombreuses sociétés, la mobilité des femmes et des filles est restreinte à partir de la puberté, souvent pour des raisons de sécurité mais aussi pour préserver « l’ honneur » de la famille. La liberté de circulation peut aussi être limitée par la loi. En Arabie Saoudite, par exemple, les femmes ne sont pas autorisées à conduire un véhicule ni à sortir dans les lieux publics sans gardien masculin. Ainsi confinées dans leurs foyers, assumant l’essentiel des tâches ménagères, les femmes peuvent se voir coupées de la possibilité de suivre une scolarité ou de participer à la vie sociale, économique et politique de la collectivité (Jones et al, 2010 ; SIGI website).
L’accès au monde professionnel
Dans de nombreux pays d’Europe et d’Asie Centrale, la législation restreint les professions que les femmes sont autorisées à exercer. En Russie, ces restrictions prennent la forme d’une liste de 456 métiers non-accessibles aux femmes. A l’origine conçues pour les protéger, ce type de mesures limite en fait les opportunités professionnelles des citoyennes (Banque mondiale, 2014).
L’action collective
L’engagement dans l’action collective est une composante essentielle de l’accès des femmes à l’espace public, qui a souvent permis de faire avancer l’ensemble de leurs droits. Au Botswana, l’association féminine «Stand up Women » s’est par exemple mobilisée pour réformer le droit de la famille et faire adopter des lois contre la violence domestique. Une étude récente conduite dans 70 pays démontre plus généralement que les pays avec les plus forts mouvements féministes ont des politiques plus développées en matière de violence contre les femmes que les pays où ces mouvements sont plus faibles ou inexistants (Banque Mondiale, 2014).
La liberté d’expression
La liberté pour les femmes de s’exprimer par l’intermédiaire des médias traditionnels et des TIC constitue également une dimension importante de l’accès à l’espace public. L’essor d’internet et des réseaux sociaux offre à cet égard de nouvelles opportunités pour les femmes, comme l’illustre l’exemple de la jeune Pakistanaise Malala Yousafzai et de l’écho rencontré par son blog en faveur de l’éducation des filles (Banque mondiale, 2014).
Aperçu par régions
Selon l’indicateur SIGI, les femmes et les hommes dans les pays de l’OCDE ont globalement le même niveau d’accès à l’espace public. Les femmes peuvent librement choisir leur lieu de résidence, demander un passeport et circuler comme bon leur semble, même si certaines femmes issues de minorités comme les Roms subissent des restrictions (Centre de développement de l’OCDE, 2014).
En Asie du Sud, les restrictions aux libertés civiles des femmes atteignent un niveau “moyen” selon le SIGI. Néanmoins la vitalité des associations féminines au niveau local aurait permis des avancées, comme en Inde, par exemple, où les peines infligées aux personnes condamnées pour viols ont été alourdies suite à l’attaque d’une étudiante dans un bus de New Dehli en 2012 (Centre de développement de l’OCDE, 2014 ; Banque mondiale, 2014). Outre des actions en justice, on assiste également à des campagnes visant à la réappropriation des espaces publics par les femmes : les évènements ‘Meet to Sleep’ organisés par des associations féminines dans plusieurs villes indiennes affirment ainsi symboliquement le droit des femmes à faire elles aussi la sieste dans les parcs.
C’est dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient que les restrictions aux libertés civiles des femmes sont les plus marquées. Les limitations de l’accès des femmes à l’espace public y sont souvent inscrites dans le droit. Neuf pays de la région sur dix-neuf ont ainsi des lois limitant la liberté de circulation des femmes. À Oman et au Yémen, les femmes doivent demander la permission de leur mari pour obtenir un passeport (Centre de développement de l’OCDE, 2014) .
Pistes pour élargir l’accès des femmes à l’espace public
Les recherches récentes proposent plusieurs pistes d’intervention en vue d’élargir l’accès des femmes à l’espace public, notamment:
- Des réformes facilitant la déclaration de tous les enfants à la naissance, en particulier des filles, comme pré-requis à leur futur accès à l’espace public (Jones et al, 2010) ;
- La conception et l’aménagement de lieux publics sûrs pour les femmes, avec une attention particulière aux éléments comme l’éclairage, l’aménagement paysager, le personnel de sécurité, l’accès aux transports publics, etc. (ONU Femmes, n.d ; UN Habitat, n.d ; voir aussi le Programme mondial « villes sûres pour les femmes») ;
- La création d’espaces de participation pour les adolescentes, afin de leur donner l’opportunité d’interagir avec leurs paires et de faire entendre leurs voix dans les processus de décision les concernant – voir par exemple les clubs de filles créés dans le cadre de l’Initiative des Nations Unies pour l’éducation des filles (Jones and al, 2010) ;
- Le soutien aux mécanismes d’actions collectives conduits par et pour les femmes. Les pouvoirs publics et acteurs du développement peuvent notamment créer un environnement juridique favorable, stimuler le partage d’expérience et envisager des modalités de financement (Banque Mondiale, 2014).
- Des mesures pour renforcer l’accès des femmes aux TIC et leurs possibilités de développer leurs propres contenus (Banque Mondiale, 2014) ;
Références
Banque Mondiale (2014), Voice and Agency. Empowering Women and Girls for Shared Prosperity, Banque Mondiale, Washington, www.worldbank.org/content/dam/Worldbank/document/Gender/Voice_and_agency_LOWRES.pdf.
Centre de Développement de l’OCDE (2014), Social Institutions and Gender Index. 2014 Synthesis Report, Editions OCDE, Paris, www.genderindex.org/sites/default/files/docs/BrochureSIGI2015.pdf.
Paquot, T. (2009) « Introduction », L’espace public, Paris, La Découverte , «Repères», 2009, www.cairn.info/l-espace-public–9782707154897-page-3.htm.
Jones, N., Harper, C. et Watson, S. (2010), Stemming girls’ chronic poverty: Catalysing development change by building just social institutions, Chronic Poverty Research Center, Manchester, www.chronicpoverty.org/publications/details/stemming-girls-chronic-poverty.
ONU-Femmes (n.d.), « Conception et aménagement d’espaces publics sûrs pour les femmes et les filles », Centre virtuel de connaissances pour mettre fin à la violence contre les femmes et les filles, consulté le 12 février 2016, http://www.endvawnow.org/fr/articles/251-safe-public-spaces-for-women-and-girls.html
ONU-Habitat (n.d), Public Spaces for All, consulté le 16 février 2016, http://unhabitat.org/public-spaces-for-all-2/
Social Institutions and Gender Index – Site Web (n.d), Centre de développement de l’OCDE, consulté le 24 janvier 2016, http://www.genderindex.org/
Voir également
Quotas et représentation politique des femmes
Liens externes
Haut Commissariat aux Droits de l’homme (n.d.), « Equal participation in political and public affairs », page web consultée le 12 février 2016
OCDE/CAWTAR (2014), Women in Public Life: Gender, Law and Policy in the Middle East and North Africa, Editions de l’OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264224636-en