« L’Afrique a des choses à enseigner au monde » – c’est peut-être ce qu’il faut retenir de cette passionnante journée passée au musée du quai Branly pour la 2e édition des « Débats du Monde Afrique » (mardi 23 février 2016). C’est un mélange de projections de bandes annonces, de conversations et d’échanges très riches qui a donné à la femme africaine la place qu’elle a toujours eu : celle d’une femme forte et déterminée.

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Les femmes africaines continuent d’être discriminées à plusieurs niveaux : elles n’ont pas un accès égal à la terre et au crédit ; elles subissent des discriminations liées à la tradition et aux normes sociales, qui ont ensuite un effet négatif sur leur santé et sur celle de leurs enfants ; elles n’ont pas les mêmes chances que les hommes de terminer leur éducation secondaire ou de faire le métier de leur choix ; elles n’ont pas le même poids en politique.

Pourtant, les femmes sont une chance pour le développement de l’Afrique. Dans l’échange avec Thierry Michel, réalisateur du film « L’homme qui répare les femmes » et dont nous avons pu voir la bande-annonce, nous avons appris que le film essaye justement de bannir les images de femmes exploitées : il s’agit d’aller au-delà de la tragédie et de montrer la mobilisation des femmes, cette idée de résistance et de femmes qui, au contraire, ne sont jamais abattues.

Les intervenant(e)s  ont d’ailleurs souligné les nombreux progrès réalisés à travers le continent dans de nombreux domaines. Par exemple, un programme en Ouganda par l’ONG BRAC permet aux jeunes filles de se regrouper dans des clubs réservés aux filles pour s’informer sur leurs droits et se préparer à la vie active; ceci a permis de diminuer le nombre de mariages précoces ; au Sénégal, une réforme est en cours pour faciliter l’accès des femmes à la terre ; en Côte d’Ivoire, les femmes dirigent 60% des entreprises; enfin, il y a 43% des femmes parlementaires au Sénégal.

Les femmes ne sont pas seulement des victimes, elles apportent aussi des solutions. Dans le domaine de la santé, la Ministre de la santé du Sénégal, Awa Coll Seck, a rappelé que les femmes sont particulièrement vulnérables face au VIH/SIDA, mais qu’elles sont aussi à l’avant-garde des services de soins, par exemple en ce qui concerne le paludisme. Aujourd’hui, 830 femmes meurent chaque jour de causes évitables lors de grossesses ou d’accouchements : Awa Coll Seck a souligné que ce n’est pas seulement une question d’un manque de personnel qualifié mais également un manque de transports adéquats, de planification familiale, d’éducation entre autres, et qu’il faut travailler avec tous les secteurs – y compris les jeunes et les hommes – pour améliorer la situation.

D’autre part, combattre les stéréotypes est essentiel pour permettre aux femmes d’accéder à plus d’opportunités et de contribuer à la croissance du continent africain. Makhtar Diop, Vice-Président de la Banque mondiale pour l’Afrique, a mis en avant certains résultats d’une étude récente menée en Ouganda: celle-ci révèle que les femmes qui optent pour les métiers dits « masculins » gagnent plus que les femmes faisant d’autres métiers et sont plus productives ; cependant cette étude révèle aussi que ces femmes sont moins susceptibles d’être influencées par leurs enseignant(e)s, qui ont tendance à orienter les femmes vers des métiers traditionnellement considérés comme « féminins ».

LMA_2016_ Fadumo Dayib

C’est aussi le cas de la participation politique des femmes, rendue très difficile dans certains pays du fait des normes sociales discriminatoires. Dans la constitution somalienne par exemple, les femmes ont le droit de vote et de se porter candidates aux élections ; mais ce n’est pas le cas dans la pratique, à cause du système des « clans ». Fadumo Dayib, candidate à l’élection présidentielle de la Somalie, a expliqué ses motivations et les défis auxquels elle a dû faire face lors de l’annonce de sa candidature. En effet, ces mêmes normes sociales discriminatoires qui restreignent le rôle des femmes en Somalie ont été reflétées dans les fortes réactions dans les réseaux sociaux. Pourtant, l’objectif de Fadumo Dayib est simple : en finir avec la corruption dans son pays, assurer la paix pour la génération suivante et défier les normes sociales qui discriminent les femmes.

LMA_2016_Fatou_Gbowee

C’est donc cette force des femmes africaines qui a dominé cet événement, notamment grâce à des intervenantes prestigieuses  au caractère fort et qui sont le reflet du potentiel de toutes les femmes africaines. Fatou Bensouda, procureure générale de la Cour pénale internationale et Leymah Gbowee, activiste et prix Nobel de la paix, ont notamment réitéré le fait que les femmes sont un moteur pour l’avancement de la société africaine, et que la culture ne doit pas représenter un obstacle. Elles ont expliqué que les femmes jouaient déjà un rôle de leader dans leurs communautés bien avant la colonisation ; et qu’aujourd’hui elles continuent d’être fortes et de transmettre leur savoir aux générations suivantes. Leymah Gbowee a notamment souligné qu’il faut arrêter de parler de la nécessité « d’autonomiser » les femmes : il s’agit juste de donner les ressources nécessaires pour permettre aux femmes de développer leur potentiel, car chaque individu possède le pouvoir de changer la situation dans leurs vies.

« The journey of helping people see their power is a journey of walking behind, not ahead »

Leymah Gbowee

(« Le voyage qui consiste à aider les autres à découvrir leur pouvoir est un voyage où l’on marche derrière l’autre, pas devant »)

Par ailleurs, le féminisme rayonnant de Chimamanda Ngozi Adichie nous a rappelé le rôle des hommes dans cette lutte pour l’égalité : « il y a des hommes plus féministes que certaines femmes », et c’est aussi avec eux qu’il faut compter. La journée s’est conclue sur quelques mots du célèbre chanteur malien Salif Keita qui a tenu à interpréter une chanson écrite pour sa mère et a rappelé le rôle clé des femmes sur le continent.

En somme, la réalisation de l’égalité femmes-hommes et de la croissance africaine dépend de la vision du monde que l’on a. Comme l’a dit Leymah Gbowee, avez-vous essayé de couvrir un œil avec une main et réussi à voir une image complète ? Il en est de même avec les femmes et les hommes : il faut pouvoir réaliser le potentiel véritable de chacun pour arriver à l’égalité parfaite.

Estelle Loiseau, Centre de développement de l’OCDE

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