Législation – Wikigender https://www.wikigender.org/fr/ L'égalité des sexes Wed, 07 Dec 2022 14:51:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.9.8 Égalité de genre au Maroc : perspectives locales autour des limites à la participation politique https://www.wikigender.org/fr/wiki/egalite-de-genre-au-maroc-perspectives-locales/ https://www.wikigender.org/fr/wiki/egalite-de-genre-au-maroc-perspectives-locales/#respond Mon, 21 Dec 2020 09:16:09 +0000 https://www.wikigender.org/?post_type=userpress_wiki&p=25779 Article proposé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée


Tables des matières :

  • Introduction : pôles locaux pour l’analyse participative
  • Contexte marocain : reformes nationales et équilibres globalisés
  • Obstacles au leadership féminin dans la région de Souss-Massa
  • Références

Introduction : pôles locaux pour l’analyse participative

Au début de 2018 l’organisation marocaine Tamaynut –  Mouvement pour le partage du pouvoir, des richesses et des valeurs – [1] et le Centre d’Etudes et de Recherches en Sciences Sociales (CERSS) ont réalisé et publié un diagnostic de terrain intitulé « Accès des femmes aux postes de responsabilité dans la région de Souss-Massa », étant Tamaynut l’organisation coordinatrice du pôle local d’acteurs de l’égalité femmes-hommes© du deuxième cycle de ce projet au Maroc, mis en œuvre par la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerrannée (FFEM) avec le soutien de l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed) et inséré dans l’Axe 1 «Renforcer les capacités des acteurs de l’égalité» du projet «Femmes d’avenir en Méditerranée» financé par le Fonds de solidarité prioritaire du Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères.

À travers le projet, Tamayut a travaillé et étudié les facteurs juridiques, socioéconomiques, culturels et individuels qui freinent l’accès des femmes et des filles aux postes de responsabilité au Maroc, en particulier dans la région Souss-Massa. En s’appuyant sur des consultations avec des représentantes d’organisations de la société civile, de syndicats et de partis politiques, l’analyse proposée en partenariat avec le  Centre d’Etudes et de Recherches en Sciences Sociales (CERSS) a également impliqué des médias locaux et régionaux, et la Fédération du travail et le gouvernement de Souss-Massa.

Cet article est tiré du diagnostic local réalisé par Tamayut et CERSS pour en souligner les aspects les plus pertinents dans l’actualité et proposer des pistes d’analyse autour des questions qui touchent ou empêchent la participation politique égalitaire dans le contexte marocain.

Contexte marocain : reformes nationales et équilibres globalisés  

La position géographique du Maroc à la jonction de l’Afrique et de l’Europe lui confère une place stratégique dans l’échiquier économique politique international. Parmi d’autres (tourisme, questions migratoires, ressources agricoles), ce facteur permet au Maroc de jouir de la confiance des instances internationales et régionales et de la bienveillance de la plupart des pays du monde. Sa « stabilité » politique et sécuritaire, son ouverture économique et sa participation dans les grands chantiers internationaux (droits humains, investissements économiques, lutte contre le réchauffement climatique ou contre la radicalisation et le terrorisme) font que le royaume bénéficie d’une popularité assez soutenue.[1]

Sous cette pulsion, ou pression, souvent définie « extérieure » mais bien connectée – dans ses causes et ses effets – aux mouvements et aux transformations socio-économiques internes, le Maroc s’est engagé à partir des années 2000 dans de grandes réformes visant à « moderniser » des structures politiques, économiques et sociales, notamment une nouvelle constitution en 2011, la réforme du code de la famille,[2] la réforme du code de la nationalité,[3] une nouvelle loi organique des finances, le Pacte foncier[4] et de l’employabilité,[5] etc.

La diagnostic réalisé par Tamayut illustre que, malgré ces avancées visant l’intégration national dans les systèmes globalisés d’efficacité, des insuffisances persistent pour ce qui concerne la gouvernance, la responsabilité (accountability), l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques et la prestation des services: quatre piliers de la « nouvelle gestion publique » (New Public Management) apparue à partir des années 1980 dans le contexte anglo-saxon et propagée dès lors.[6] Telles insuffisances se sont surtout manifestées à l’échelle locale, provinciale et régionale : la mise en œuvre des principes de la régionalisation avancée comme levier de progrès[7] rencontre en fait des obstacles inhérents aux pouvoirs juridiques limités transférés aux représentant.e.s élu.e.s des territoires régionaux, provinciaux et communaux, ainsi qu’à leurs faibles compétences dans l’élaboration et l’implémentation des plans d’action de développement des territoires.[8]

Dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles relatives à l’instauration des principes de l’équité et l’égalité entre les femmes et les hommes (article 19 de la Constitution), le Plan Gouvernemental pour l’Égalité ICRAM 1 (2012-2016) a consacré un axe à l’accès égal et équitable aux postes de prise de décision administrative et politique dans l’objectif de renforcer la représentativité politique des femmes.[9] Le 2ème Plan Gouvernemental pour l’Égalité – ICRAM 2 – que le Ministère de la Famille, de la Solidarité, de l’Egalite et du Développement Social avait lancé pour la période 2017-2021 réserve ainsi l’axe 3 à «la Participation des femmes à la prise de décision» avec l’objectif de renforcer les dispositions prises, telles que les quotas et listes « exclusives » des femmes, pour atteindre une plus grande représentativité et faciliter la participation effective à la prise de décision politique.[10] Bien que des reformes structurelles descendantes aient été annoncées et déployées, en 2020 la parité de genre dans la sphère publique au Maroc reste très loin d’être atteinte.[11]

Obstacles au leadership féminin dans la région de Souss-Massa

Avec l’objectif d’illustrer la réalité du leadership féminin dans la région de Souss-Massa, et les facteurs influençant de l’accès aux postes à responsabilité dans les organisations politiques de la société civile, le diagnostic de Tamaynut vise à : identifier les principaux obstacles entravant l’accès des femmes aux postes de décision, les facteurs contextuels et individuels associés à chaque obstacle ; interroger les différentes pistes susceptibles de lever ces obstacles ; permettre aux participant.e.s de s’exprimer librement au sujet du leadership féminin et de partager leurs expériences selon une méthodologie participative [12] autour de leur conception vis-à-vis de la prise de décision aux seins des institutions associatives, syndicales et politiques. Le diagnostic se base aux faites sur l’étude des donnés recueillies auprès de trois groupes différentiés : 10 organisations de la société civile, représentées par 50 personnes ; 4 bureaux syndicaux représentés par 35 adhérent.e.s. ; et quatre partis politiques avec une représentante pour chaque parti.

Les focus groupes de réflexion – organisées à Agadir dans le cadre du projet pour l’identification et la compréhension des comportements, des croyances, des convictions et des opinions – abordaient, au-delà des variables individuelles concernant les caractéristique psycho-physiques perçues des femmes au Maroc, des variables réglementaires à travers les questions suivantes :

  1. Quels sont les textes réglementaires en lien avec le positionnement des femmes ?
  2. Comment ces règlements peuvent encourager ou inhiber les femmes dans la quête des postes de décision ?
  3. Que proposeriez-vous pour l’amélioration de cet arsenal juridique ?

et des variables socio-économiques et culturelles relatives au contexte marocain à travers les questions suivantes :

  1. Comment la position sociale actuelle des femmes limite ou favorise son épanouissement vis-à-vis de la prise de décision ?
  2. Comment les conditions économiques des femmes peuvent-elles influencer ses rapports avec la prise décision ?
  3. Comment la culture marocaine favorise ou défavorise les femmes quant à leur participation dans la prise de décision ?[13]

Pour les résultats du premier atelier, touchant les organisations de la société civile, une méconnaissance répandue et une accessibilité insuffisante des textes réglementaires sont cités parmi les facteurs critiques, ainsi que les structures de pensée liées à conceptions religieuses hégémoniques qui associent le sexe féminin à l’infériorité,  reconnues comme facteurs principaux empêchant d’accéder aux postes de responsabilité, influençant leur position sociale et même leur autonomie économique.[14]  Par rapport aux expériences individuelles, soit la perception d’elles-mêmes – formulée en termes du manque de confiance, de non inconscience de leurs compétences, et causée également par l’impossibilité de s’exprimer publiquement et par la surcharge de travail – soit  la perception externe – qui ressort dans le fait qu’elles font l’objet d’harcèlements, de sous-estimation et de dominations – ont comme origine le statut socio-économique, politique et culturel, selon les analyses proposée par Tamayut et CERSS. En fait, « les comportements et les croyances qui limitent les femmes ne sont que le résultat d’un matraquage systématique depuis l’enfance par la famille, l’entourage et la société en général. »[15]

Concernant le résultats de l’atelier consacré au domaine syndical, on constate que en plus des limites imposées aux participantes dans le premier focus groupe, les femmes syndicalistes subissent l’absence de parité dans les statuts des syndicats et du favoritisme du système juridictionnel dont les hommes se réjouissent pour accéder  aux postes de responsabilité :  l’absence délibérée des mentions à la parité de genre de l’élaboration des statuts des syndicats et l’élaboration du code de travail constitue également un obstacle directe pour l’accès des femmes aux postes de décision.[16]

Dans ce cadre, un facteur critique pour le positionnement socio-économiques semble être l’absence d’encadrement et de formation des femmes travailleuses et fonctionnaires relativement à leurs droits et aux mécanismes pour les faire appliquer, dû à l’absence d’une législation rendant obligatoire l’instauration de programmes de formation. Dans cette chaine d’absences, on ajoute la perception négative associée aux femmes syndicalistes définies comme des « rebelles »,  menaçant le statu quo d’un pouvoir économique et culturel.

Quant aux résultats du troisième atelier, permettant l’échange d’expériences des femmes de la région de Souss-Massa ayant une carrière politique, on certifie que la complexité de concilier les activités politiques, familiales et du travail constitue un frein pour le positionnement de succès de la femme dans les sphères politiques aux niveaux régional et national. Une autre des questions avancée par les femmes élues participantes au projet est la discrimination à plusieurs facettes à l’égard des femmes en cas de candidatures aux postes de responsabilités : souvent, cette nomination ne se voit pas attribuée en raison des compétences acquises et requises, et se base uniquement sur une différenciation sexuelle instrumentale.[17]


Références

[1] Tamaynut est une organisation amazighe fédérale non gouvernementale fondée en 1978 ; son but est de défendre et promouvoir les droits linguistiques et culturels et les droits socio-économiques des personnes Amazighs.

[1] Tamaynut – Mouvement pour le partage du pouvoir, des richesses et des valeurs (2018), « Accès des femmes aux postes de responsabilité dans la région de Souss-Massa » Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée, diagnostic de terrain 11, cycle 2, p. 5.

URL: https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/7704/diagnostic-terrain-acces-femmes-postes-a-responsabilite-dans-region-soussmassa

[2] Salime, Zakia. (2009). “Revisiting the Debate on Family Law in Morocco: Context, Actors and Discourses” Cuno K. M. & Desai M. (eds) Gender and Family Laws in a Changing Middle East and South Asia, Syracuse University Press, pp. 145-162. https://www.jstor.org/stable/j.ctt1j5dfd8?turn_away=true

[3] UNHCR – Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugies (2015), “Removing Gender Discrimination from Nationality Laws” Ending Statelessness Within 10 Years – Good Practices Paper, Action 3. https://www.refworld.org/pdfid/54f8377d4.pdf

[4] Sippel, Sarah Rut. (2015) « All You Need Is Export? Moroccan Farmers Juggling Global and Local Markets » in Guy M. Robinson, Doris A. Carson (ed.) Handbook on the Globalisation of Agriculture, pp.328-349. https://www.researchgate.net/publication/280070217_All_You_Need_Is_Export_Moroccan_Farmers_Juggling_Global_and_Local_Markets

[5] Balgley, David. (2017). « Agrarian Capitalism and the Privatization of Collective Land in Morocco. » Journal of Undergraduate Research – Volume VIII. https://www.researchgate.net/publication/333489239_Agrarian_Capitalism_and_the_Privatization_of_Collective_Land_in_Morocco

[6] Mastropaolo, Alfio (2011), “La Democrazia è una Causa Persa? – Paradossi di un’invenzione perfetta” (trad. « La démocratie est-elle une cause perdue?”), Turin, Bollati Boringhieri. https://www.bollatiboringhieri.it/libri/alfio-mastropaolo-la-democrazia-e-una-causa-persa-9788833921693/

[7] Royaume du Maroc (2011)- Sécretariat Général du Gouvernement, La Constitution Edition 2011- Série “Documentation Juridique Marocaine”, article 135, Titre IX « DES REGIONS ET DES AUTRES COLLECTIVITES TERRITORIALES » p. 50. http://extwprlegs1.fao.org/docs/pdf/mor128747.pdf

[8] Tamaynut – Mouvement pour le partage du pouvoir, des richesses et des valeurs (2018), surcité, « Accès des femmes aux postes de responsabilité dans la région de Souss-Massa » Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée, diagnostic de terrain 11, cycle 2, p. 5. https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/7704/diagnostic-terrain-acces-femmes-postes-a-responsabilite-dans-region-soussmassa

[9] Royaume du Maroc – Ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement Social (2013), « Plan Gouvernemental pour l’Egalité – 2012 – 2016 ICRAM, En Perspective de la Parité ». http://www.ogfp.ma/uploads/documents/Plan%20gouvernemental%20pour%20l’%D8%A3%C2%A9galit%D8%A3%C2%A9%20ICRAM%20(Fran%D8%A3%C2%A7ais).pdf

[10] OCDE (2018) “Conference regionale Leadership féminin et participation politique de la femmes – Programme, 10-11 juillet 2018, Rabat”, Partenariat de Deauville du G7 –Fonds de transition MENA, Vers un gouvernement ouvert et inclusif: Promouvoir la participation des femmes dans les parlements et l’élaboration des politiqueshttps://www.oecd.org/mena/governance/womens-leadership-and-political-participation-regional-conference-agenda.pdf

[11] World Economic Forum (2020), “Global Gender Gap Report 2020 – Insight Report”. http://www3.weforum.org/docs/WEF_GGGR_2020.pdf

[12] Tamaynut – Mouvement pour le partage du pouvoir, des richesses et des valeurs (2018), « Accès des femmes aux postes de responsabilité dans la région de Souss-Massa » Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée, diagnostic de terrain 11, cycle 2, p. 10. https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/7704/diagnostic-terrain-acces-femmes-postes-a-responsabilite-dans-region-soussmassa

[13] Ibidem, p.12,23

[14] Ibidem, p.16

[15] Ibid.

[16] Ibidem, p.17

[17] Sadiqi, F. (2016) “The Feminization of Authority in Morocco” Vianello M. & Hawkesworth M. Gender and Power: Toward Equality and Democratic Governance, pp.389-418. https://www.academia.edu/28783050/Feminization_of_Authority

]]>
https://www.wikigender.org/fr/wiki/egalite-de-genre-au-maroc-perspectives-locales/feed/ 0
Égalité de genre en Jordanie : perceptions locales et obstacles à la participation politique https://www.wikigender.org/fr/wiki/egalite-de-genre-en-jordanie-perceptions-locales-et-obstacles-a-la-participation-politique/ https://www.wikigender.org/fr/wiki/egalite-de-genre-en-jordanie-perceptions-locales-et-obstacles-a-la-participation-politique/#respond Mon, 02 Nov 2020 11:53:03 +0000 https://www.wikigender.org/?post_type=userpress_wiki&p=25682 Article proposé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée


Tables des matières :

  • Introduction
  • Le contexte jordanien : du national au local
  • Perceptions et obstacle dans le gouvernorat de Ma’an
  • Réflexions et recommandations politiques
  • Références

 

Introduction

En décembre 2018 l’Association caritative des femmes Al-Anwar (Al-Anwar Women Charity Society), a publié le diagnostic de terrain intitulé « Les femmes au pouvoir : perceptions locales et obstacles à Ma’an » en tant que chef de file du pôle local d’acteurs de l’égalité femmes-hommes© du troisième cycle en Jordanie, mis en œuvre par la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerrannée (FFEM) avec le soutien de l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed) et inséré dans l’Axe 1 «Renforcer les capacités des acteurs de l’égalité» du projet «Femmes d’avenir en Méditerranée» financé par le Fonds de solidarité prioritaire de Ministère français des l’Europe et des Affaires étrangères.

Grâce à cette initiative, la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée met en évidence l’expertise de la société civile en tant que moteur de changement social et observatrice privilégiée des politiques d’égalité femmes-hommes. De plus, la méthodologie des pôles locaux  permet aux chercheurs et aux chercheuses  impliquées de connaître le travail des associations travaillant en faveur des droits des femmes.[1]

Grace aux expériences des associations participant aux cycles des pôles locaux précédents, l’Association caritative des femmes Al-Anwar disposait de nouvelles stratégies pour faire un suivi rapproché du sujet sélectionné.[2]  Le diagnostic duquel cet article est tiré propose une analyse participative de l’exercice du pouvoir et des responsabilités politiques des femmes jordaniennes à niveau local, notamment dans le gouvernorat de Ma’an, en faisant ressortir des données très utiles pour comprendre les attitudes et les normes sociales à l’égard de l’engagement politique féminin dans le pays.

La méthodologie suivie par l’équipe de recherche d’Al-Anwar[i] lui a permis de mesurer le degré d’acceptation de la présence des femmes au pouvoir par la société du gouvernorat de Ma’an, d’analyser les relations sociales et les stéréotypes relatifs au rôle des femmes dans la société, et de décrire les coutumes et traditions qui affectent la participation des femmes aux affaires publiques, parmi d’autres objectifs.

Le contexte jordanien : du national au local

Au niveau national, la Jordanie a enregistré dernièrement des progrès, bien que modérés,  pour ce qui en est des efforts pour la promotion des femmes à la direction des postes de direction politique, soit exécutive que législative :  le nombre de femmes occupant des portefeuilles ministériels dans le gouvernement actuel d’Omar al-Razzaz (14 juin 2018 – jusqu’à présent) a augmenté à 25% – en comptant 7 femmes sur 28 ministres –  par rapport au gouvernement précédent qui comptait 2 ministres femmes sur un total de 29 ministres, soit le 6,8%.[3]  Quant aux dernières élections législatives en 2016, les femmes ont remporté 15,38% des sièges, c’est-à-dire 20 sièges sur 130, [4] dont cinq ont été remportés sur la base de la concurrence électorale et les autres grâce au système de quotas imposé en 2012: [5] ce résultat est considéré par Al-Anwar comme le meilleur taux de participation politique des femmes jordaniennes jusqu’à présent. Les élections de novembre 2020 établiront probablement une référence pour comprendre le rythme de cette progression et établir des nouveaux mécanismes d’analyse pour les années à venir.

En ce qui concerne le gouvernorat de Ma’an, les femmes n’ont emporté aucun des sièges attribués à la circonscription électorale générale exemptes du système de quotas, tandis qu’une seule femme a obtenu un siège inclus dans le système de quotas.[6]

Ma’an représente dans ce sens un cas assez typique. En faite, au niveau local, la participation politique des femmes dans la totalité du territoire jordanien s’est triplée au cours des quinze dernières années par le biais du système de quotas, à l’exception des gouvernorats. Les élections des conseils municipaux et des gouvernorats du 2017 présentent les résultats suivants :

  • pour les conseils municipaux : 616 hommes et 441 femmes, dont 124 élues avec concurrence directe et 317 grâce au système des quotas ;
  • pour les conseils locaux : 1196 hommes et 555 femmes, dont 231 élues avec concurrence directe et 324 grâce au système des quotas ;
  • pour les conseils des gouvernorats : 263 hommes et 36 femmes, dont 4 avec concurrence directe et 32 femmes élues grâce à l’imposition du système des quotas.[7]

Sur les douze gouvernorats de Jordanie, le gouvernorat de Ma’an – le plus grand au niveau de la superficie mais onzième au niveau de la population – présentent la représentation politique féminine suivante, sur les différents espaces électoraux : 33.8% des femmes dans les conseil municipaux (la plus bas au niveau national) ; 27.8% des femmes élues dans les conseils locaux ; 11.1% des femmes élues dans les conseil du gouvernorat.[8]

L’utilisation des quotas reste controversée en Jordanie, comme dans la plupart des pays.  Étant donné que les quotas sont considérés comme des « mesures temporaires spéciales », on a tendance à penser souvent qu’ils ne sont plus nécessaires après un ou plusieurs cycles électoraux si la représentation des femmes a augmenté. [9] Cette logique suppose que puisque la représentation des femmes a augmenté, elle ne fera que continuer à le faire, et que le quota n’est plus indispensable. Ce type de réflexion peut constituer un facteur de risque[10] qui ne tient pas compte de l’influence significative des normes sociales sur les possibilités politiques des femmes, de leurs évolutions et des temps nécessaires pour que les changements souhaités se réalisent.

Perceptions et obstacle dans le gouvernorat de Ma’an

Le questionnaire de l’enquête du diagnostic réalisé par Al-Anwar est précisément consacré à la question des normes sociales en Jordanie influençant la pérennisation des stéréotypes de genre, dans le gouvernorat de Ma’an. Hormis les nombreuses études citées qui soulignent comment les femmes en Jordanie sont confrontées à un taux élevé d’analphabétisme, ce qui conduit à leur participation réduite au marché du travail et à taux de chômage élevés, à un faible niveau de vie,[11] et mettent en évidence que les femmes intériorisent les stéréotypes de genre, manquent d’ambition et de confiance en elles, sont la cible des discriminations tribales et que, pour cela aussi, beaucoup d’elles abandonnent leur emploi[12], le diagnostic s’appui également sur l’étude de Safaa Al Shuweihat – menée pour déterminer le niveau d’acceptation de la présence de femmes aux postes de direction et l’intensité des barrières sociales et culturelles du point de vue des étudiant.e.s universitaires jordanien.ne.s – qui a révélé que les étudiant.e.s universitaires soutiennent fortement la position selon laquelle les femmes puissent et doivent occuper des postes de direction, et estiment que l’intensité des barrières sociales est modérée. Elle a également montré que les étudiantes étaient plus ouvertes aux femmes occupant des postes de direction que les étudiants, alors que les étudiants pensaient que l’intensité des barrières sociales était plus élevée, par rapport aux étudiantes.[13]

Par contre, l’étude d’Al-Anwar présent des résultats différents, en montrant une attitude socioculturelle en moyenne plus conservatrice à Ma’an, comparée à celle du groupe cible des jeunes universitaires interviewées par Al Shuweihat que bénéficient d’une éducation internationale permettant la mixité des genres. Aux variables de perceptions analysées par les questionnaire pour mesurer le degré d’acceptation ou consentement de la société des femmes au pouvoir, les questions portant sur «j’accepte qu’une femme soit gouverneure/ambassadrice du pays/Premier Ministre/ chef de mon clan» ont reçu des estimations d’acceptation très faibles (entre 1.9 et 1.4 sur 5). Il a été constaté par Al-Anwar que les groupes sociaux et les communautés de Ma’an ont souvent du mal à accepter ce qui représente la nouveauté lorsqu’il s’agit du Royaume en général ou du gouvernorat en particulier.[14]

En ce qui concerne une deuxième question de l’enquête qui porte sur l’identification des obstacles empêchant les femmes d’occuper des postes de direction, les estimations des variables qui mesurent les contraintes socio-culturelles à l’exercice du pouvoir par les femmes se révèlent le plus élevées dans le cadre des affirmations suivantes, à titre explicatif :« la maison est le royaume de la femme et elle ne dispose pas du droit de le quitter sauf impératif », « les coutumes et les traditions requièrent que les femmes prennent soin de la maison ».[15]

Certaines tendances et méthodes d’éducation – dérivées souvent d’une interprétation politique et religieuse instrumentale – persistent à propager l’idée que l’unique rôle des femmes s’inscrit dans le contexte de la famille, et nient leurs rôles multiples dans la société.[16] Les femmes, en plusieurs territoires jordaniens, s’avèrent être influencées par ces pensées et ne sont pas encouragées à participer aux activités de la vie publique; par conséquent, elles n’accèdent pas non plus à des postes de décision.[17]

Rabaa Krishan, enseignante du Centre des Langues et de Communication culturelle à l’Université Al-Hussein Bin Talal, estime que des raisons variées ont conduit à de telles contraintes, notant que la société de Ma’an n’accorde ni la confiance ni le soutien nécessaire aux femmes: en plus du manque de soutien des femmes entre elles – causé par l’influence de la culture patriarcale –  les femmes ne disposeraient pas des compétences nécessaires pour persuader les autres, ce qui permet au même système de maintenir cet « ordre ».[18]

À cette égard, le diagnostic souligne que l’un des obstacles principaux serait l’insuffisante promotion par les médias des questions qui touchent les femmes au niveau politique et législatif, y compris leurs réussites, d’où viendrait la méconnaissance des femmes des lois et règlements (la Constitution stipule que les Jordaniens sont égaux devant la loi, et affirme le principe de l’égalité des chances dans les fonctions publiques ; la loi électorale autorise les hommes et les femmes à participer à la vie publique, soit en votant, soit en se présentant comme candidat.e.s. Par ailleurs, on a vu qu’il existe le principe du quota pour les sièges supplémentaires), ainsi que l’échec des partis politiques et des OSC qui ne facilitent pas l’accès des femmes aux structures de pouvoir plus élevées.[19] Cela signifie que les législations plus inclusives ont eu peu d’impact sur l’occupation des postes de direction par les femmes, dans le contexte local analysé par Al-Anwar.[20]

Des entretiens menés par l’OCDE en 2018 ont également révélé que les femmes du Sud de la Jordanie sont davantage entourées par des idéologies conservatrices concernant leurs rôles, notamment dans la dimension de la représentation et la participation politique. Par exemple, lors des discussions sur les moyens possibles pour les candidates de toucher leurs électeurs et électrices autrement qu’en leur rendant visite physiquement (puisque dans les régions plus conservatrices, il est socialement tabou pour les femmes de faire du porte-à-porte pour faire campagne ou d’organiser des dîners privés, le soir),  les femmes de Ma’an ont également considéré comme inappropriées des mesures moins directes, telles que les appels téléphoniques aux électeurs et électrices potentielles ou l’utilisation des médias sociaux.[21]

Il est utile de mentionner que les taux de pauvreté par gouvernorat en Jordanie atteignent le pourcentage le plus élevé dans le gouvernorat de Ma’an[22], et que la Jordanie a le taux de  participation des femmes au marché du travail (FLFP) le plus faible au monde parmi les pays qui ne sont pas en guerre, malgré le fait que le gouvernement jordanien et les partenaires de développement aient investi massivement dans la promotion de l’inclusion économique des femmes.[23] Dans ce cadre, le diagnostic d’Al-Anwar permet de mieux comprendre certaines contraintes très pertinentes qui empêchent les groupes exclus, tels que les femmes et les filles, d’avoir des chances égales d’améliorer leur qualité de vie en Jordanie.

Réflexions et recommandations politiques

Suite à l’analyse des résultats de l’enquête de terrain, intégré avec les discussions de groupes, la consultation de personnel expert et la documentation théorique, l’étude d’Al-Anwar aboutit à une série de recommandations:[24]

  • promouvoir la coopération entre les médias officiels et non-officiels, les OSC et les établissements d’enseignement secondaires et universitaires, afin de sensibiliser les publics sur les stéréotypes de genre, de lutter contre les traditions culturelles et sociétales inhibant l’auto-détermination des femmes et de remettre en question les relations de pouvoir entre les hommes et les femmes ;
  • prévoir des mécanismes de plaidoyer pour demander aux responsables politiques, des partis et communautaires, de contribuer à transformer l’image stéréotypée des femmes, et de les soutenir dans l’autonomisation politique et socio-économique ;
  • réviser et transformer l’image des femmes dans les manuels scolaires et universitaires, modifiant les contenus afin de mettre en avant la capacité et la légitimité des femmes à occuper des postes de direction, et souligner leur rôle dans le développement de la société ;
  • assurer la présence des femmes dans les évènements internationaux et communautaires et organiser des rencontres avec les étudiant.e.s dans les écoles et les universités afin de valoriser leurs capacités et leurs qualifications dans tous les aspects de la vie ;
  • œuvrer pour des nouvelles lois électorales qui encouragent les coalitions et créent des opportunités pour les femmes afin qu’elles concourent plus aisément aux élections dans le but d’accélérer le changement social, en Jordanie et dans le gouvernorat de Ma’an en particulier ;
  • intégrer les femmes dans le processus de développement, améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs familles, à travers de programmes en partenariat avec les organisations internationales de la société civile et les institutions gouvernementales. Cette mesure permettrait d’améliorer la qualité des services dans le gouvernorat de Ma’an, d’assurer le développement local et d’améliorer le niveau de vie de sa population, ce qui aurait des répercussions positives sur la jouissance des femmes de leurs droits.

Références

[i] L’enquête – constituée grâce à groupes de discussion et un questionnaire en deux parties pour évaluer l’acceptation de la société des femmes au pouvoir et identifier les obstacles à la leadership féminine – a été menée auprès de 419 personnes du gouvernorat de Ma’an (président-e-s d’OSC, activistes, étudiant-e-s universitaires, journalistes, fonctionnaires publics, professeures et avocat-e-s) en juillet et août 2018.

[1] Fondation  des Femmes de l’Euro-Méditerranée (2016) «Les pôles locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes sont présentés aux responsables politiques et autres acteurs euro-méditerranéens» – 18/10/2016. URL : https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/news/view/6131/les-poles-locaux-acteurs-egalite-femmeshommes-sont-presentes-responsables-politiques-autres-acteurs-euromediterraneens

[2] Fondation  des Femmes de l’Euro-Méditerranée (2017) «Rencontre avec les 7 associations qui analyseront la situation des femmes en 2018” – 22/12/2017». URL: https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/news/view/7484/rencontre-avec-7-associations-qui-analyseront-situation-femmes-en-2018

[3] Site officiel du gouvernement jordanien, par date de formation. URL : http://www.pm.gov.jo/byFormationDate

[4] Site officiel du Parlement Jordanien, liste des membres. URL:http://www.representatives.jo/ar/%D9%85%D8%AC%D9%84%D8%B3/%D8%A7%D9%84%D9%85%D8%AC%D9%84%D8%B3-%D8%A7%D9%84%D9%86%D9%8A%D8%A7%D8%A8%D9%8A-%D8%A7%D9%84%D8%AB%D8%A7%D9%85%D9%86-%D8%B9%D8%B4%D8%B1

[5] Article 51 de la loi n° 25 de 2012 sur Loi sur l’élection à la Chambre des représentants. URL : http://www.jordanpolitics.org/uploads/635463750512795199.pdf

[6] Al-Anwar Women Charity Society (2018) « Les femmes au pouvoir : perceptions locales et obstacles à Ma’an », Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée, diagnostic de terrain 21, cycle 3. p.14. URL :  https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/8743/diagnostic-terrain-les-femmes-au-pouvoir-perceptions-locales-obstacles-a-maan-jordanie

[7] Al-Hayat Centre (2017), «RASED Analysis on the Representation of Women in Municipal Governorate Council Elections 2017». URL: http://www.hayatcenter.org/uploads/2017/09/20170907131130en.pdf

[8] Ibidem.

[9] OECD (2018), « Women’s Political Participation in Jordan – Barriers, Opportunities and Gender Sensitivity of Select Political Insitutions », MENA-OECD Governance Programme with the Jordanian National Commission for Women, p. 69. URL : https://www.euromedwomen.foundation/pg/en/documents/view/9305/womens-political-participation-in-jordan-barriers-opportunities-and-gender-sensitivity-of-select-political-institutions

[10] Ibidem.

[11] Kreishan, F.; Al-Awad, A. (2011). « Economic and Social Reality of Women in Ma’an Governate », An-Najah University Journal for Research (Humanities), V. 25, Issue No. 4, P. 821-848. URL : https://journals.najah.edu/article/177/

[12] Al-Hussein, I. (2011). « Attributes and Skills of Leading Jordanian Women and Obstacles They Face », Damascus University Journal, Volume 27, Issue No. 3, P. 413-473.

[13] Al Shuweihat, S. (2017). « Social and Cultural Barriers Hindering Educated Women from Assuming Leadership Positions, from GJU Students’ Perspective », Jordan Journal of Social Sciences, V.10, Issue No. 1, P. 99-118.

[14]  Al-Anwar Women Charity Society (2018) « Les femmes au pouvoir : perceptions locales et obstacles à Ma’an », Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée, diagnostic de terrain 21, cycle 3. p.16. URL :  https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/8743/diagnostic-terrain-les-femmes-au-pouvoir-perceptions-locales-obstacles-a-maan-jordanie

[15] Ibidem, p. 18

[16] Al Maaitah R., Oweis A., Olimat H., Altarawneh I., Al Maaitah H. (2012). « Barriers Hindering Jordanian Women’s Advancement to Higher Political and Leadership Positions. »Journal of International Women’s Studies, 13(5), 101-122. URL: https://vc.bridgew.edu/jiws/vol13/iss5/10

[17] AL AHMAD, W. (2016). « Autonomisation politique des femmes arabes, étude comparative », Centre de recherche sur la recherche sociale et les études féministes, Riyadh. Du diagnostic surcité p. 18 URL :  https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/8743/diagnostic-terrain-les-femmes-au-pouvoir-perceptions-locales-obstacles-a-maan-jordanie

[18] Al-Anwar Women Charity Society (2018) « Les femmes au pouvoir : perceptions locales et obstacles à Ma’an », Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée, diagnostic de terrain 21, cycle 3. p.20. URL :  https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/8743/diagnostic-terrain-les-femmes-au-pouvoir-perceptions-locales-obstacles-a-maan-jordanie

[19] Ibidem

[20] Ibidem, p. 22

[21] OECD (2018), « Women’s Political Participation in Jordan – Barriers, Opportunities and Gender Sensitivity of Select Political Insitutions », MENA-OECD Governance Programme with the Jordanian National Commission for Women, p. 65, p.71. URL : https://www.euromedwomen.foundation/pg/en/documents/view/9305/womens-political-participation-in-jordan-barriers-opportunities-and-gender-sensitivity-of-select-political-institutions

[22] Lenner, K. (2013), «Poverty and Poverty Reduction Policies in Jordan» Atlas of Jordan : History, Territories and Society. Beyrouth: Presses de l’Ifpo,  pp. 335-343. URL: https://books.openedition.org/ifpo/5036

[23] World Bank (2018) «Hashemite Kingdom of Jordan Understanding How Gender Norms in MNA Impact Female Employment Outcomes». URL: https://www.euromedwomen.foundation/pg/en/documents/view/9285/hashemite-kingdom-of-jordan-understanding-how-gender-norms-in-mna-impact-female-employment-outcomes

[24] Al-Anwar Women Charity Society (2018) « Les femmes au pouvoir : perceptions locales et obstacles à Ma’an », Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée, diagnostic de terrain 21, cycle 3. p. 24. URL :  https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/8743/diagnostic-terrain-les-femmes-au-pouvoir-perceptions-locales-obstacles-a-maan-jordanie

]]>
https://www.wikigender.org/fr/wiki/egalite-de-genre-en-jordanie-perceptions-locales-et-obstacles-a-la-participation-politique/feed/ 0
La représentation politique des femmes en Égypte: les élections du Sénat en 2020 https://www.wikigender.org/fr/wiki/la-representation-politique-des-femmes-en-egypte-les-elections-du-senat-en-2020/ https://www.wikigender.org/fr/wiki/la-representation-politique-des-femmes-en-egypte-les-elections-du-senat-en-2020/#respond Wed, 19 Aug 2020 09:00:30 +0000 https://www.wikigender.org/?post_type=userpress_wiki&p=25457 Article proposé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée

Tables des matières:

  • Introduction
  • Le contexte électorale égyptien et les élections du Sénat en 2020
  • La dimension de genre dans la participation politique en Egypte : perspectives de Gizeh
  • Conclusion : autour des quotas
  • Références

Introduction

Si la présence des femmes dans les institutions égyptiennes a varié beaucoup au fil du temps, les femmes et les filles en Egypte sont représentées en nombre relativement faible par rapport aux femmes des autres pays de la région MENA et de l’OCDE. Au cours des  vingt dernières années, le niveau de représentation est resté soit inférieur à 3 % (élections de 1995, 2000, 2005 et 2012), soit à 13 % et 15 % (2010 et 2015) : le facteur déterminant de ces différents niveaux a été la mise en œuvre, ou l’abolition, d’un quota électoral de femmes.[1]

Les élections du sénat en cours – commencées le 11 et 12 Août 2020 – ont vu un nombre total de 141 femmes candidates sur les sièges individuels et les listes, dont 91 pour les sièges individuels (sur un total de 786, soit 11,5%), 20 sur les listes de base (quota du 20%) et 30 sur les listes de réserve.[2]

En 2017 l’Association Appropriate Communication Techniques for Development (ACT) a réalisé le diagnostic de terrain intitulé « La participation politique des femmes en Egypte : perspectives de Gizeh », en tant que chef de file d’un pôle local d’acteurs de l’égalité femmes-hommes© en Egypte mis en place par la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerrannée (FFEM) avec le soutien de l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed) et inséré dans l’Axe 1 « Renforcer les capacités des acteurs de l’égalité » du Fonds de solidarité prioritaire « Femmes d’avenir en Méditerranée » financé par le Ministère français des Affaires étrangères et du Développement international, dans le cadre du projet « Développer l’autonomie des femmes », labellisé par l’Union pour la Méditerranée.[3]

Cet article se base sur l’analyse de terrain en synthétisant les résultats du diagnostic pour ce qui concerne les principaux défis face à la participation politique des femmes égyptiennes, et propose une piste de réflexion critique du système des quotas en Egypte, afin de pouvoir fournir un instrument de lecture de la dimension de genre au sein du parcours électoral actuel en Egypte.

Le contexte électoral égyptien et les élections du Sénat en 2020

Lors des dernières élections parlementaires égyptiennes déroulées à la fin de 2015, les votes aux candidates femmes avaient fait l’objet des progrès historiques, occupant un nombre record de 89 sièges sur 596, soit près de 15%.[4] Ces chiffres avaient été célébrées par plusieurs mouvements féministes et par le Centre national égyptien pour les droits de la femme comme résultat d’efforts décennales.[5] Ces résultats historiques méritent d’être examinés de plus près car un quota, imposé par la loi n° 46 de 2014, exigeait que les listes des partis incluent un certain nombre de femmes : sans le quota unique, la représentation des femmes aurait été d’environ 4%, soit à peu près la même que lors des précédentes élections tenues sans quota.[6]

Pour ce qui concerne le Sénat – objet des élections en cours – la dernière constitution de 2014 ne prévoyait pas de chambre haute du Parlement (c’est à dire de Sénat, anciennement « Conseil de la Choura »), bien qu’elle figure dans l’histoire du pays : en vertu de la constitution de 1923, le parlement égyptien était bicaméral, composé d’un Sénat et d’une Chambre des représentants. La Chambre haute a été dissoute pour la première fois en 1952 avec la Révolution du 23 juillet. Le parlement égyptien est resté une chambre unique jusqu’en 1980, date à laquelle des amendements ont été apportés à la constitution de 1971 rétablissant la chambre haute sous le nouveau nom de Conseil de la Choura. La constitution de 2013 a maintenu la chambre haute sous ce même nom avant qu’elle ne soit à nouveau retirée de la constitution de 2014.[7] En 2012, les dernières élections au Sénat ont vu 396 candidates femmes se présenter au niveau de la République, ce qui équivaut à environ 40 fois les nominations au Conseil de la Choura précédent pour l’année 2010, qui ne comptait que 9 femmes. Lors des élections de 2012, cinq femmes ont remporté 5 des 180 sièges de la Choura, soit 2,7%.[8]  À partir de 2014, l’espace électorale féminin prévoit un pourcentage de quotas nouveau : le résultat des élections sénatoriales d’août 2020 présent en fait un quota sur les sièges des circonscriptions avec 20 femmes sur 100 sièges et les élections se déroulent sur une liste fermée absolue, ce qui a signifié que toute la liste soit gagnante. Cela a garanti que 20% des femmes figureront sur les sièges de liste, en plus de celles qui réussiront dans les différentes circonscriptions.[9]  En fait, le Sénat comprendra 300 membres : un tiers élu par ce système de liste fermée, un autre tiers élu par un système de circonscription uninominale et le dernier tiers nommé par le président (ce système serait conçu pour permettre la représentation des minorités et la présence d’experts dans différents domaines, permettant ainsi au Sénat de jouer un rôle complémentaire à la « chambre basse » du parlement, la Chambre des représentants).[10] Il est important de mentionner que le Conseil de la Choura que le Sénat fait revivre avait été vivement critiqué par de nombreux membres du comité qui a rédigé la constitution de 2014, qui le considèrent comme un espace de corruption et un instrument utilisé par l’élite au pouvoir pour maintenir ses alliances (c’était l’une des principales raisons de sa dissolution dans la Constitution) et contrôler la presse.[11]

La dimension de genre dans la participation politique en Egypte : perspectives de Gizeh

Au fil de l’histoire, les femmes égyptiennes – qui ont toujours pris une part active aux révolutions du pays –[12] ont lutté pour se faire une place dans la vie publique, d’abord par la revendication de leur droit à l’éducation. À la suite d’actions de plaidoyer et de revendications intenses, les femmes sont parvenues à gagner des droits substantiels en termes de participation et d’affiliation aux syndicats ainsi que du droit à s’engager dans la vie politique et sociale.[13]  Toutefois, le faible nombre de femmes occupant des postes de responsabilité dans les institutions politiques ou dans l’administration de l’État démontre que leur opinion et leur influence sur la société demeurent très restreintes et très peu représentées.[14] Par ailleurs, l’absence de sensibilité des partis politiques et leur manque d’intérêt envers la participation des femmes, auxquels il faut ajouter la pérennisation des pratiques misogynes, sont autant de défis majeurs à relever pour atteindre non seulement l’égalité des genres, mais aussi des politiques publiques plus inclusives en Égypte.

Parmi les défis vis-à-vis la participation politiques des femmes en Egypte détectés par le diagnostic de Appropriate Communication Techniques for Development (ACT) dans le cadre des enquêtes menées à Gizeh on retrouve :

  • manque de compétences en termes de mobilisation : les femmes parviendraient moins que les hommes à mobiliser la population durant les campagnes électorales – malgré leur capacité à cerner les sujets et les problèmes affectant la société – à cause de plusieurs facteurs structurels ;
  • manque de soutien financier : pour mobiliser la population durant les campagnes électorales, par exemple, il est nécessaire de disposer de moyens financiers et du soutien d’entrepreneurs, en plus du soutien gouvernemental ;
  • les  lois et les réglementations ne facilitent pas et n’encouragent pas les femmes à participer à la vie politique : malgré les réformes juridiques, il existe encore des lois très discriminatoires à l’égard des femmes en matière de droits et d’engagement politiques ;
  • attitudes négatives envers la participation politique des femmes : il existe en outre une vision négative et réductrice des femmes, de leurs droits, de l’importance de leur rôle et reconnaissance, problème auquel s’ajoute la diffusion d’une culture politique misogyne qui instrumentalise des arguments socio-culturels et religieux ;
  • manque d’intérêt envers la politique : bien qu’il y ait des femmes qui ont de véritables ambitions politiques et l’espoir d’accéder à une haute fonction publique, les femmes n’ayant aucune ambition politique sont très nombreuses.  De surcroît, comme les hommes, elles ont l’espoir de parvenir à ces hautes fonctions, mais sans pouvoir faire appel  aux mêmes ressources, aux relations et aux opportunités politiques.

Pour récupérer et promouvoir leurs droits politiques, les femmes de Gizeh qui ont pris part à l’enquête du diagnostic en 2017 ont proposé, d’une part, des actions de sensibilisation dirigées aux femmes et filles égyptiennes afin de les informer sur leurs droits, leurs capacités et leurs potentiels. D’autre part, des actions de formations ciblant les femmes ont été suggérées, notamment en termes de leadership, gestion, planification, négociation, communication. Le diagnostic illustre aussi comment dans la sphère publique les femmes ont été encouragées « uniquement » à créer des organisations non gouvernementales, afin d’accroître la participation féminine au développement durable, et non pas dans les dimensions gouvernementales. En outre, le diagnostic souligne l’exigence de revoir les lois de façon à modifier la structure inégale du système socio-politique, supprimer les normes discriminatoires et intégrer des articles garantissant la pleine mise en application de l’égalité des droits et des devoirs pour les hommes et les femmes dans la vie publique et privée.[15]

Conclusion : autour des quotas

Saher Osman, ancien membre du Parlement et directeur adjoint de l’Union générale des travailleurs égyptiens, avait noté à propos des dernières élections parlementaires égyptiennes (en 2015) que, hormis l’effet du quota, la situation de la représentation politiques des femmes est « restée inchangée depuis des décennies ».[16]  Pour mieux comprendre si le quota a réellement fait progresser les droits et la représentation des femmes, il serait important de considérer à la fois l’efficacité des quotas dans le contexte national spécifique et l’efficacité ultérieure des femmes siégeant au parlement (si les avis sur l’efficacité des quotas varient, ils pourraient constituer une option courante et apparemment populaire pour accroître la représentation des femmes au gouvernement).[17] Comme noté par Erin Francolli, un argument commun en faveur du système de quotas, utilisé dans nombreux pays, en Afghanistan comme en France, est celui formulé par Marguerite El-Helou selon laquelle les quotas sont « une mesure temporaire nécessaire pour faire tomber les barrières sociales, culturelles et politiques à l’égalité réelle des sexes dans les droits fondamentaux de la citoyenneté protégés par la constitution ».[18] Au même temps, d’autres, dont Mona Lena Krook, ont fait valoir que les quotas sont plus un geste symbolique que le signe d’un engagement profond en faveur de l’égalité de genre: ils permettent aux élites politiques d’apparaître préoccupées par le sort de l’inégalité tout en ignorant les questions plus profondes liées aux droits et à la mobilité des femmes et des filles dans la société.[19] En outre, les femmes élues à la suite d’un système de quotas peuvent avoir le sentiment d’être considérées comme représentantes des femmes uniquement, et non de tout autre groupe constitutif, avec des limites en matière de représentation[20] et intersectionalité.  Pour conclure, il est important pour Francolli de souligner que les critiques aux quotas font souvent valoir que les femmes élues par le biais de ce système sont généralement fidèles à l’establishment du parti, une préoccupation qui s’accroît lorsque la nomination des représentant.e.s par le président est autorisée, comme c’est le cas dans le contexte égyptien.[21] En effet, comme mentionné, même dans le cas des actuelles élections du Sénat en 2020, le Président a le pouvoir de nommer 100 représentant.e.s dont le quota pour les femmes est établie à 10%.[22]

D’après le diagnostic, il semble être évident que le contexte égyptien nécessiterait d’une série assez large de mutations politiques, socio-économiques et culturelles, en faveur d’une réelle représentation féminine, qui dépassent et sous-tendent la formalité du processus électoral caractérisé par un système des quotas, bien qu’il reste également central pour l’inclusivité des femmes et des filles dans la sphère publique. À ce propos, Dans le cadre de l’enquête menée par ACT, la participation politique ne consiste pas simplement à déposer un bulletin de vote dans une urne lors des élections ; l’association entend plutôt par cette expression le fait que les citoyen.ne.s puissent et soient capables de s’engager activement dans les décisions politiques. Le terme « participation politique » des femmes égyptiennes fait référence pour l’association au « rôle joué par les femmes dans la vie parlementaire en tant qu’électrices, candidates et députées ainsi que les fonctions qu’elles assument dans les syndicats professionnels et les partis politiques ».[23]  Au sein de ce débat très complexe,[24] au delà des obstacles qui entravent la participation politique effective des femmes en Egypte (limites électorales substantielles, droits socio-politiques et opportunités socio-économiques, représentations médiatiques), le diagnostique de terrain constate également que dans plusieurs régions égyptiennes les familles ont le pouvoir de décider de la participation des femmes dans la vie publique, voire même de contrôler leur vote.[25] Cet élément indique une autre raison expliquant la nécessité d’analyser les processus électorales avec un regard critique et globale, comme c’est le cas pour les élections actuellement en cours en Egypte.

Références

[1] OECD (2018) “Women’s Political Participation in Egypt – Barriers, opportunities and gender sensitivity of select political institutions” , p. 10. http://www.oecd.org/mena/governance/womens-political-participation-in-egypt.pdf

[2] The Egyptian Center for Women’s Rights (2020), Communiqué de presse “ECWR Monitors Numbers and Percentages of Female Candidates in The Senate Election” – 10/08/2020. http://ecwronline.org/?p=8119

[3] Appropriate Communication Techniques for Development  – ACT (2017), «LA PARTICIPATION POLITIQUE DES FEMMES EN ÉGYPTE : PERSPECTIVES DE GIZEH » – Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée & IEMed Institut Européen de la Méditerranée, Diagnostic de terrain 3, cycle 1, p. 13. https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/6994/diagnostic-terrain-la-participation-politique-femmes-en-egypte-perspectives-gizeh

[4] Women in National Parliaments (2019) http://archive.ipu.org/wmn-e/classif.htm

[5] El-Behary, H. (2016) “Women’s representation in new parliament highest in Egypt’s history”, Egypt Independent – 05/01/2016. https://www.egyptindependent.com/women-s-representation-new-parliament-highest-egypt-s-history/

[6] Francolli, E. (2017) “Women and Quotas in Egypt’s Parliament”, The Tahrir Institute for Middle East Policy – 01/05/2017. https://timep.org/commentary/analysis/women-and-quotas-in-egypts-parliament/

[7] Zaineldine, A. (2020) « 5 Things to Know About Egypt’s Upcoming Senate Elections », Egyptian Streets – 24/07/2020. https://egyptianstreets.com/2020/07/24/5-things-to-know-about-egypts-upcoming-senate-elections/

[8] The Egyptian Center for Women’s Rights (2020), Communiqué de presse “ECWR Monitors Numbers and Percentages of Female Candidates in The Senate Election” – 10/08/2020. http://ecwronline.org/?p=8119

[9] Ibidem.

[10] Zaineldine, A. (2020), surcité.

[11] MADA MASR (2020), “Despite continuing impact of COVID-19, Senate elections date set for August”, 05/07/2020. https://www.madamasr.com/en/2020/07/05/news/u/despite-continuing-impact-of-covid-19-senate-elections-date-set-for-august/.

Pour une critique plus approfondie des élections sénatoriales en Egypte de 2020, voir aussi: MADA MASR (2020), “Senate elections: How we moved backward”, 07/08/2020. https://www.madamasr.com/en/2020/08/07/feature/politics/senate-elections-how-we-moved-backward/

[12] Allam. N. (2018) « Women and the Egyptian Revolution – Engagement and Activism during the 2011 Arab Uprising » – Cambridge University Press.

[13] Appropriate Communication Techniques for Development  – ACT (2017), «LA PARTICIPATION POLITIQUE DES FEMMES EN ÉGYPTE : PERSPECTIVES DE GIZEH » – Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée & IEMed Institut Européen de la Méditerranée, Diagnostic de terrain 3, cycle 1, p. 7.

https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/6994/diagnostic-terrain-la-participation-politique-femmes-en-egypte-perspectives-gizeh

[14] Ibidem, p. 8

[15] Ibidem, p. 21

[16] Reda, A. (2016) “87 Women in Egypt’s 2015 parliament: Not good enough”, WataniNet – 04/01/2016. http://en.wataninet.com/politics/parliament/87-women-in-egypts-2015-parliament-not-good-enough/15471/

[17] Francolli, E. (2017) “Women and Quotas in Egypt’s Parliament”, The Tahrir Institute for Middle East Policy – 01/05/2017. https://timep.org/commentary/analysis/women-and-quotas-in-egypts-parliament/

[18] El-Helou, M. (2009) « Gender Quotas in Parliamentary Representation », Al-Raida 126-127, pp. 25. http://iwsawassets.lau.edu.lb/alraida/alraida-126-127.pdf

[19] Krook, M. L. (2009), « Gender Quotas in Parliament: A Global Perspective», Al-Raida 126-127 pp. 8-17. http://iwsawassets.lau.edu.lb/alraida/alraida-126-127.pdf

[20] Dahlerup D. (2009), “Women in Arab Parliaments: Can Gender Quotas Contribute to Democratization?”, Al-Raida 126-127 pp. 28-38. http://iwsawassets.lau.edu.lb/alraida/alraida-126-127.pdf

[21] Francolli, E. (2017), surcité.

[22] MADA MASR (2020), “Despite continuing impact of COVID-19, Senate elections date set for August”, 05/07/2020. https://www.madamasr.com/en/2020/07/05/news/u/despite-continuing-impact-of-covid-19-senate-elections-date-set-for-august/

[23] Appropriate Communication Techniques for Development  – ACT (2017), «LA PARTICIPATION POLITIQUE DES FEMMES EN ÉGYPTE : PERSPECTIVES DE GIZEH » – Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée & IEMed Institut Européen de la Méditerranée, Diagnostic de terrain 3, cycle 1, p. 13. https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/6994/diagnostic-terrain-la-participation-politique-femmes-en-egypte-perspectives-gizeh

[24] Voir : International Institute for Democracy and Electoral Assistance, “Gender Quota Database” au lien suivant. https://www.idea.int/data-tools/data/gender-quotas/quotas

[25] Appropriate Communication Techniques for Development  – ACT (2017), surcité, p.18

]]>
https://www.wikigender.org/fr/wiki/la-representation-politique-des-femmes-en-egypte-les-elections-du-senat-en-2020/feed/ 0
L’impact de la Covid-19 sur l’égalité hommes-femmes et les Objectifs de Développement Durable (ODD) https://www.wikigender.org/fr/wiki/limpact-de-la-covid-19-sur-legalite-hommes-femmes-et-les-objectifs-de-developpement-durable-odd/ https://www.wikigender.org/fr/wiki/limpact-de-la-covid-19-sur-legalite-hommes-femmes-et-les-objectifs-de-developpement-durable-odd/#respond Fri, 17 Jul 2020 11:20:43 +0000 https://www.wikigender.org/?post_type=userpress_wiki&p=25357

Introduction

La pandémie liée à la Covid-19 constitue une menace sérieuse pour la réalisation des ODD liés au genre. Ses conséquences socio-économiques mettent en péril certaines des améliorations observées depuis 2015 en matière d’égalité hommes-femmes et d’autonomisation des femmes. Compte tenu de l’état d’avancement des ODD avant le déclenchement de la crise et de leurs liens les uns avec les autres, il est évident que les conséquences économiques et sociales de la pandémie vont exacerber les inégalités et les discriminations existantes à l’égard des femmes et des filles, en particulier des plus marginalisées. La crise d’Ébola (2014-2015) en Afrique de l’Ouest et l’épidémie de Zika (2015-2016) en Amérique latine ont révélé que les crises de santé publique peuvent mettre un frein aux politiques et aux réformes visant à transformer les relations entre les hommes et femmes. En effet, les crises privent les femmes de ressources nécessaires à leurs besoins tandis que ces mêmes crises accroissent les besoins auxquels font face femmes. Il est donc essentiel de prendre conscience de l’impact actuel du Covid-19 ainsi que de ses implications pour la réalisation des ODD si des mesures préventives ne sont pas prises.

Conséquences de la Covid-19 pour les ODD ayant un lien avec la condition des femmes et des filles

Compte tenu des vastes et multiples implications de la crise du Covid-19, tous les ODD, et en particulier les objectifs et indicateurs liés au genre, sont susceptibles d’être touchés. Reconnaître cet impact est une première étape essentielle pour concevoir des politiques de relance socio-économiques qui aideront à atteindre les ODD et l’égalité des sexes. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une liste exhaustive, si l’on considère le problème sous l’angle du genre, il est évident qu’au moins les ODD suivants souffriront de ralentissement, voire de recul :

ODD 8 – « Travail décent » : « Les femmes représentent environ deux tiers du personnel de santé dans le monde et […] environ 85 % des infirmières et des sages-femmes dans les 104 pays pour lesquels des données sont disponibles » (OCDE, 2020). Cette concentration sectorielle, ainsi que la surreprésentation des femmes dans certains secteurs tels que le commerce de détail et l’hôtellerie, signifie que les femmes sont exposées de manière disproportionnée à la Covid-19 au travail et sont plus touchées que les hommes par les mesures de confinement.

ODD 3 – « Bonne santé et bien-être » : En temps de crise sanitaire, les ressources allouées à la santé reproductive et sexuelle sont détournées et réorientées vers la réponse d’urgence. Comme constaté au cours de la crise d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014-2015, cela a contribué à une augmentation de la mortalité maternelle dans les régions ayant de faibles capacités de soins de santé (Wenham, Smith et Morgan, 2020). Par exemple, en Sierra Leone, des études d’impact menées après la crise ont révélé une baisse drastique de l’utilisation des services de santé au cours de la crise, entraînant, selon les estimations les plus prudentes, 3 600 décès maternels, néonatals et mort-nés supplémentaires sur la période 2014-2015 (Sochas, Channon et Nam, 2017).

ODD 4 – « Une éducation de qualité » : La crise Ébola a également révélé une augmentation significative des grossesses adolescentes au cours de l’épidémie suite à la fermeture des écoles, se traduisant, en retour, par une augmentation du taux d’abandon scolaire – en particulier pour les mères adolescentes —  au cours de la période post-crise (Bandiera et al., 2019). En parallèle, l’augmentation à venir de la charge de travail non rémunéré et des tâches domestiques qui pèse sur les épaules des femmes et des filles – en particulier les soins rendus aux malades – aura probablement des conséquences importantes sur les perspectives d’éducation des filles.

ODD 2 – « Faim Zéro » : Dans les pays où les normes sociales impliquent une préférence pour les garçons plutôt que pour les filles, la pandémie pourrait amplifier ces préférences de plusieurs façons. Par exemple, dans des contextes de ressources alimentaires limitées, les ménages où les normes sociales discriminatoires sont répandues pourraient être amenés à privilégier les garçons par rapport aux filles, ce qui aurait une incidence négative directe sur le deuxième objectif stratégique. De même, dans un contexte de ressources limitées, la préférence pourrait être accordée aux garçons par rapport aux filles en matière d’éducation et de santé (ODD 3 et 4).

ODD 1 – « Pas de pauvreté » et ODD 10 – « Inégalités réduites » : Étant donné que les conséquences économiques de l’épidémie – par exemple les licenciements, la perte de revenus, la précarité de l’emploi – pourraient davantage toucher les femmes, une augmentation des niveaux de pauvreté des femmes dans le monde est très probable.

Conséquences de la Covid-19 pour l’ODD 5 en particulier

Plus spécifiquement, la pandémie aura de graves conséquences pour la réalisation de l’ODD 5, « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ». Avant la crise, on estimait que 2,1 milliards de filles et de femmes vivaient dans des pays qui n’atteindraient pas les cibles liées à l’égalité entre les sexes d’ici 2030 (Equal Measures 2030, 2020). Alors que le rythme des progrès commence à ralentir, les pays développés et en développement vont avoir besoin de plus de temps ainsi que de mesures fortes afin d’atteindre les cibles liées à l’égalité entre les sexes. Les cibles suivantes de l’ODD 5 seront en particulier gravement touchées :

ODD 5.1 sur l’élimination de « toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles » : D’après le SIGI (Social Institutions and Gender Index) de l’OCDE, de nombreuses nouvelles législations visant à renforcer l’égalité des sexes et à abolir les lois discriminatoires bénéficiaient d’engagements politiques croissants avant la crise (OCDE, 2019). Toutefois, la crise a paralysé la capacité de nombreux États à adopter à et mettre en œuvre de nouvelles lois.

ODD 5.2 sur l’élimination de « toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles » : Des données récentes révèlent que 18% des femmes dans le monde ont subi des violences physiques et/sexuelles de leur conjoint au cours des 12 derniers mois. De nouvelles données ajoutent que la violence domestique a augmenté au cours des mesures de confinement. Par exemple, la ligne d’assistance téléphonique nationale contre les violences domestiques du Royaume-Uni indique une augmentation de 25 % du nombre d’appels téléphoniques au cours de la première semaine de confinement et la multiplication par 1,5 des visites sur son site web (ONU Femmes, 2020).

ODD 5.3 sur l’élimination de « toutes les pratiques préjudiciables » : Avant la crise, les données suggéraient un déclin des mariages d’enfants en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne (Centre de développement de l’OCDE, 2019). La pauvreté induite par la pandémie pourrait engendrer une augmentation des mariages précoces et forcés. Dans le même temps, dans les pays à faibles revenus, la crise sanitaire va gravement compromettre les capacités et les ressources financières des gouvernements, ce qui aura des répercussions sur les capacités législatives et d’application de la loi de ces pays. Par exemple, les poursuites engagées contre les auteurs de mutilations génitales féminines risquent de s’atténuer, alors même que cette pratique semble s’être accrue depuis le début de la pandémie.

ODD 5.4 sur la reconnaissance et le partage des travaux domestiques non rémunérés : Avant l’épidémie de Covid-19, les femmes effectuaient déjà 75 % du travail domestiques non rémunéré dans le monde (Centre de développement de l’OCDE, 2019). La crise actuelle a souligné l’importance du rôle des individus qui s’occupent des personnes âgées ainsi que des personnes de santé fragile. En outre, dans de nombreux endroits, les écoles ont fermé, ce qui signifie que les enfants restent à la maison. Ces dynamiques contribuent à augmenter la charge de travail non rémunéré. Il sera probablement très difficile de revenir à la répartition d’avant la crise et presque impossible de parvenir à une répartition équitable du travail domestique non rémunéré entre les hommes et les femmes d’ici 2030.

ODD 5.6 sur la garantie de l’accès aux soins de santé sexuelle et aux droits en matière de procréation: La fourniture de produits de santé sexuelle et reproductive, y compris les protections hygiéniques, pourrait être affectée par la pression exercée sur les chaînes d’approvisionnement (UNFPA, 2020). La crise du Zika en Amérique latine mis en exergue le lien entre les gangs et l’accès des femmes aux soins gynécologiques, les réseaux informels prenant le contrôle de l’accès aux approvisionnements.

Conclusions

Alors que la crise de la Covid-19 se poursuit, la prise de conscience de son impact sur l’accomplissement des objectifs fixés dans l’Agenda 2030. Si les mois passés ont montré qu’il est toujours possible de s’adapter, il est maintenant essentiel de se pencher sur l’impact que les réponses apportées à la crise de la Covid-19 auront sur le développement humain à travers le monde. En tournant notre regard vers l’avenir, il est possible de comprendre que les mesures prises aujourd’hui seront fondamentales pour le futur. Cette prise de conscience s’accompagne de la possibilité d’élaborer des politiques publiques qui tiennent compte des inégalités entre les sexes et qui favorisent des redressements socio-économiques équitables.

Ressources supplémentaires de l’OCDE sur la Covid-19

Références

Bandiera, O. et al. (2019). “The Economic Lives of Young Women in the Time of Ebola: Lessons from an Empowerment Program”. Impact Evaluation series, No. WPS 8760. World Bank Group, Washington D.C. http://documents.worldbank.org/curated/en/452451551361923106/The-Economic-Lives-of-Young-Women-in-the-Time-of-Ebola-Lessons-from-an-Empowerment-Program.

Equal Measures 2030 (2020). Bending the Curve Towards Gender Equality by 2030. https://www.equalmeasures2030.org/wp-content/uploads/2020/03/EM2030BendingTheCurveReportMarch2020.pdf.

OECD (2020). Women at the Core of the Fight Against COVID-19 Crisis. OECD Publishing, Paris. https://read.oecd-ilibrary.org/view/?ref=127_127000-awfnqj80me&title=Women-at-the-core-of-the-fight-against-COVID-19-crisis.

OECD (2019). SIGI 2019 Global Report: Transforming Challenges into Opportunities, Social Institutions and Gender Index. OECD Publishing, Paris. https://dx.doi.org/10.1787/bc56d212-en.

OECD Development Centre (2019). Gender, Institutions and Development Database (GID-DB) 2019. https://oe.cd/ds/GIDDB2019.

Sochas, L., A. Channon and S. Nam (2017). “Counting indirect crisis-related deaths in the context of a low-resilience health system: the case of maternal and neonatal health during the Ebola epidemic in Sierra Leone”. Vol. 32, pp. 32-39. http://dx.doi.org/10.1093/heapol/czx108.

UNFPA (2020). COVID-19: A Gender Lens – Protecting sexual and reproductive health and rights, and promoting gender equality. UNFPA. https://www.unfpa.org/sites/default/files/resource-pdf/COVID-19_A_Gender_Lens_Guidance_Note.pdf.

Wenham, C., J. Smith and R. Morgan (2020). COVID-19: the gendered impacts of the outbreak, Lancet Publishing Group. http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30526-2.

United Nations (n.d.). Sustainable Development Goal 5. Retrieved from https://sustainabledevelopment.un.org/sdg5.

United Nations (n.d.). Transforming our world: the 2030 Agenda for Sustainable Development. Retrieved from https://sdgs.un.org/2030agenda.

UN Women (2020). COVID-19 and Violence Against Women and Girls: Addressing the Shadow Pandemichttps://www.unwomen.org/-/media/headquarters/attachments/sections/library/publications/2020/policy-brief-covid-19-and-violence-against-women-and-girls-en.pdf?la=en&vs=5842.

]]>
https://www.wikigender.org/fr/wiki/limpact-de-la-covid-19-sur-legalite-hommes-femmes-et-les-objectifs-de-developpement-durable-odd/feed/ 0
La présence électorale des femmes au Maroc : évolutions et contradictions https://www.wikigender.org/fr/wiki/la-presence-electorale-des-femmes-au-maroc-evolutions-et-contradictions/ https://www.wikigender.org/fr/wiki/la-presence-electorale-des-femmes-au-maroc-evolutions-et-contradictions/#respond Mon, 06 Apr 2020 08:44:51 +0000 https://www.wikigender.org/?post_type=userpress_wiki&p=24469

Article proposé et préparé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro – Méditerranée

Article rédigé par Gioachino Panzieri, mars 2020

 

[toc]

Introduction

Le Maroc (Royaume du Maroc depuis 1957) est une monarchie constitutionnelle avec une population de plus de 36 millions de personnes, dont le 50,4% est représenté par la population féminine, ce qui correspond – pour les données 2018 – à un totalité de 18.160.072 femmes et filles marocaines (1). Selon la dernière classification par Indice d’Inégalité de Genre (GII) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le Maroc est classé 118ème sur un classement de 162 pays (2), se positionnant ainsi dans le sous-groupe des pays du monde avec le niveau d’égalité hommes-femmes le plus bas, tel que le PNUD l’a défini.

La trajectoire de la participation formelle des femmes marocaines dans la sphère politique a subi plusieurs changements dans les dernières dix années à cause de différentes reconfigurations, bien que les questionnements du statut secondaire des femmes dans la société étaient bien présents tout au long du XXe siècle, et les contestations provenant de la part des mouvements féministes remontent au moins aux années 1990 (3).
C’est le cas par exemple – après plusieurs décennies de tentatives de réforme – des contestations concernant le Droit de la Famille du Maroc (Mudawaana ou Code du statut personnel, codifié en 1958), qui ont informé en 2004 l’une des codifications « le plus progressistes » de la région MENA à l’époque, en supprimant les lois sur la tutelle conjugale et l’ « obéissance » (même au niveau linguistique) ; en accordant aux femmes le droit d’engager le divorce et d’obtenir la garde des enfants et leur protection juridique ; en abolissant la procédure de « répudiation » et en limitant la polygamie ; en instituant l’égalité des genre pour la première fois pour tous les groupes d’âges (4). Un autre acquis est représenté par la réforme du Code de Nationalité (2006-2007) qui discriminait les mères et les enfants des marocains non-résidents, en obligeant les femmes à renouveler leurs permis de résidence chaque année afin de pouvoir conférer la nationalité marocaine à leurs enfants (5).

En ce qui concerne la représentation politique, c’est en 2002 que les femmes marocaines ont obtenu l’inédit 10% des sièges parlementaires à l’issue d’une longue lutte pour l’instauration d’un système de quotas, ainsi que de nombreux postes ministériels, diplomatiques et juridiques (6). D’ailleurs, l’augmentation de la présence physique des femmes dans les sphères de l’autorité marocaine était déjà considérée instrumentale pour contrer les extrémismes religieux dès les années 1980 (7).

La participation électorale des femmes a vécu d’autres mutations à partir de l’adoption de la nouvelle Constitution en 2011, une mesure qui s’inscrit dans le panorama politique marocaine parallèlement aux complexifications des revendications féministes autour du Mouvement du 20 février.*

L’association Tazghart d’Azrou, qui travaille dans le domaine de la participation civique responsable, avec un focus sur le rôle des femmes dans le processus démocratique du pays, a rédigé en 2018 un diagnostic de terrain sur le rôle des femmes élues dans la province d’Ifrane, dans la région de Fés-Meknès, en tirant des conclusions qui peuvent être utilisées pour réfléchir sur différents niveaux d’analyse. L’étude a été réalisé dans le cadre du projet « Pôles locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes » financé par le Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, en partenariat avec l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed) et la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée, avec l’objectif d’analyser la représentation politique des femmes dans la région d’Ifrane ainsi que les difficultés, rencontrées par les femmes élues, dans la participation efficace de la gestion politique et dans la promotion de l’égalité de genre (8).

L’analyse de Tazghart s’insère dans les efforts nationaux visant à mettre en oeuvre les nouvelles exigences constitutionnelles et légales (9) qui découlent de la réponse du système monarchique aux mobilisations sociales occupant l’espace public marocain en 2011 (10).

Cet article explore certaines des dynamiques qui expliquent les raisons pour lesquelles la participation des femmes dans la sphère politique au Maroc ne peut pas être réduite à un pourcentage déterminé par l’institution d’un nouveau cadre légal, tout en soulignant comment la complexité de l’équilibre entre forme et substance se reflète à la fois dans les fractures internes des mouvements sociaux féministes et dans l’administration politique concrète, comme l’illustrent certains résultats du diagnostic concernant le cas d’Ifrane.

Genre en 2011 : contestations et Constitution

Dans le cadre des soulèvements populaires de 2011 au Maroc, l’égalité de genre a été l’une des questions centrales de revendications sociales, au sein même du Mouvement du 20 février qui aurait conduit à une réforme constitutionnelle où la centralité de l’égalité de genre s’est formellement et finalement traduite (11). Une partie des contestations concernaient notamment la participation politique des femmes dans les systèmes décisionnels du pays caractérisés par une structure fortement patriarcale.

Les revendications des femmes en 2011 s’insèrent, au Maroc, dans un aggloméré d’instances politiques relatives à la plus large justice sociale nationale définie par la nécessité de droits économiques et par la demande d’une réelle participation politique de la part des citoyennes et citoyens qui se sont progressivement découverts intolérants au fonctionnement du régime politique du Royaume.
Si les instances féministes étaient historiquement présentes bien avant le 2011, l’un des débats que le Mouvement du 20 février a ressuscité en 2011 au Maroc concerne effectivement l’acceptation que « la participation politique va bien au-delà de la forme électorale et partisane » (12). Au contraire, elle intègre progressivement l’action collective se déployant dans l’espace public. Cette hypothèse de base, appliquée au cas marocaine, parmi d’autres, par Mohamed Naimi en 2016, serait confortée également par les soulèvements populaires et les révolutions commencées en 2011 dans d’autres pays de la région MENA. Concernant la problématisation de la reforme constitutionnel de 2011 comme réactions aux mouvements citoyens, cette nouvelle édition de la Constitution marocaine, selon Naimi « élargit le champ de la participation politique, en attribuant aux associations et Organisations de la Société Civile des rôles politiques d’une démocratie participative. Néanmoins, elle néglige le rôle des mouvements sociaux en tant que composante agissante au sein d’une nouvelle société civile non instituée […], en proposant donc des dispositifs participatifs implicitement visant à canaliser l’action contestataire et, par conséquent, son encadrement et contrôle » (13).
Par ailleurs, l’instrumentalisation de la participation citoyenne à la chose public de la part du pouvoir centrale peut et doit également être mise en cause afin de pouvoir veiller à la déresponsabilisation de l’État dans un processus de libéralisation des services publiques qui concerne beaucoup des pays globalisés et qui pèse sur les épaules des leurs sociétés civiles.

Les contradictions et les fractures dues à une nouvelle Constitution insatisfaisante et instrumentale se reproduisent très démocratiquement sur les questions de genre, ainsi que sur les mouvements féministes marocaines : bien que certaines associations du féminisme historique aient accueilli avec enthousiasme la formalisation du principe d’égalité de genre dans l’article 19 de la Constitution – rédigé par une commission nommée par le Roi suite à son discours du 9 mars 2011 ayant le but de « calmer les esprits révolutionnaires » – après des décennies de luttes vis-à-vis du pouvoir pour obtenir une plus grande marge de manoeuvre sur le terrain, d’autres composantes indépendantes du mouvement de 2011 ont jugé l’article une déclaration théorique – incapable de changer les relations de genre dans le pays – insérée dans un texte constitutionnel « cosmétique » (14).
L’article 19 de la Constitution du 2011 institue effectivement le principe d’égalité de genre pour la première fois, et le décline sous l’angle des droits politiques, juridiques, sociaux, économiques, culturels et environnementaux. Néanmoins, ce principe reste textuellement conditionné aux constantes du Royaume : Dieu, la Patrie, le Roi (Allah, al-watan, al-malik) (15); ce qui, dans la configuration structurellement patriarcale du caractère islamique et monarchique de l’État contemporain, neutralise le potentiel du principe d’égalité des genres.

Présence électorale des femmes au Maroc et décentralisation : le cas d’Ifrane

La réforme constitutionnelle a accompagné un nouveau gouvernement, élu en novembre 2011, qui n’a inclus qu’une seule femme ministre, celle en charge du Ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement Social (néanmoins, on constate que le pourcentage de femmes parlementaires en 2011 a atteint 17%, soit une augmentation de +6,5% par rapport aux précédentes élections parlementaires de 2007 facilitée par un nouveau système de quotas) (16).
Même au rendez-vous des élections régionales de 2015, aucune Région marocaine a eu une femme comme Présidente (17).
Bien que l’hypothèse suivante soit beaucoup plus pertinente dans la dimension substantielle plutôt que dans celle formelle, la faible représentation féminine peut être considérée comme le fruit d’une imposition légale descendante (top-down) ; toutefois, elle réside également dans une culture inégalitaire touchant notamment les générations plus âgées, les deux structures étant mutuellement bénéfiques.

Dans ce cadre politique s’inscrit le projet mené par l’association Tazghart, qui a réalisé le diagnostic de terrain précité afin d’évaluer les modalités et les problématiques de la participation politique des femmes dans la province d’Ifrane.
Le diagnostic jette une nouvelle lumière sur la dimension des communes au Maroc avec un accent sur les collectivités territoriales, en se focalisant sur l’importance de la régionalisation comme choix du royaume dans son chemin vers la démocratie commencé très tôt et constitutionnalisé en 2011 (18).
Malgré l’assimilation conflictuelle des principes néolibérales (libre administration, good gouvernance, corrélation entre responsabilité et reddition des comptes, compétitivité, etc.) (19) dans les dernières reformes de régionalisation et décentralisation, la dimension de genre au Maroc a vécu à cet égard – au niveau de la démocratie représentative – des transformations considérées révolutionnaires.

Les femmes au coeur du projet mentionné ont été élues pour une période de six ans lors des élections communales et régionales marocaines qui se sont déroulées le 4 septembre 2015.
Si c’est vrai qu’aucune femme a été élue Présidente de région, par rapport aux élections précédentes (en 2009) – où la représentation des femmes avait touché 12% –, en 2015 elles ont atteint 27% des sièges aux élections municipales et régionales (20).
En outre, en matière de territorialité, l’association Tazghart suggère le potentiel de la connexion unissant la possibilité d’une meilleure proximité entre l’administration et les nécessités citoyennes et la possibilité d’une approche de genre plus légitime et capillaire engendré par l’institutionnalisation de la décentralisation (21).

A cet égard, parmi les dispositifs mis en place par le gouvernement afin de soutenir l’autonomisation politique des femmes, le diagnostic signale les mesures juridiques encadrées par le 7ème axe du plan gouvernemental pour l’égalité « ICRAM » 2012-2016 (22): des lois réglementaires qui portent sur l’accès égalité aux postes de responsabilité administrative, politique et économique dont les collectivités territoriales ont bénéficié (23).

L’analyse de l’association Tazghart dans le cadre du projet « Pôles locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes », menée parallèlement à des enquêtes et des entretiens approfondis avec des femmes élues aux autorités locales de la province d’Ifrane (Région de Fés-Mèknes, avec 194 collectivités territoriales, dont 10 dans la province d’Ifrane) en 2018 (24), permet de notifier que la majorité des communes de la province d’Ifrane n’ont pas les compétences nécessaires pour implémenter une planification stratégique (25) telle que l’exigerait l’instance de l’équité, de l’égalité des chances et de l’approche de genre (IEECAG) (26), considérée comme le mécanisme de mise en oeuvre des articles 19 et 139 de la Constitution 2011 en termes respectivement d’égalité de genre et de participation et concertation au niveau territorial pour l’élaboration et suivi des programmes de développement.
Ensuite – malgré les succès des contributions féminines dans les phases de réflexion, détermination des problèmes et proposition de projets, et malgré la diversité des tâches accomplies par les femmes – le diagnostic révèle que : la participation des femmes dans la gestion des communes ne dépasse pas le 40% ; la plupart des femmes membres du conseil occupent des fonctions secondaires (27); la plupart des femmes élues aux communes n’ont pas bénéficié de programmes de renforcement des capacités prévus – ceux-ci déjà déficitaires en termes d’accompagnement, d’échange d’expériences et d’expertise; les nombreux projets communales valorisant les initiatives territoriales des femmes (de 2005 à 2018) n’ont reçu que des fonds nationaux, c’est-à-dire que les communes n’ont pas généralement utilisé leur budget pour les mener (28).

Parmi les autres critères qui causent la participation limitée des élues dans la gestion politique, l’association mentionne la faiblesse de la pratique démocratique au sein des partis. Les indicateurs utilisés dans l’étude confirment également la dégradation de la situation économique et sociale au Maroc, notamment dans les zones rurales, ce qui se reflète sur la condition fragile des femmes au niveau territorial (29).
D’autres résultats permettent d’apercevoir la faible préparation et les compétences insuffisantes des personnes élues dans la gestion administrative – ainsi que la méconnaissance des femmes de leurs droits –, ce qui pourrait mettre en lumière à la fois la nécessité d’un système public d’éducation et de formation beaucoup plus solide, et la mise en question de la crédibilité au sein du processus électoral, notamment en ce qui concerne la question de genre, comme le revendiquent plusieurs mouvements sociaux et associations, inclus Tazghart qui a identifié la participation des femmes à la vie politique comme réponse à la « nécessité urgente de préserver la crédibilité de l’approche démocratique que les États cherchent à atteindre » (30). En effet, le diagnostic dénonce l’exploitation des femmes qui, lors des élections, ont été considérées comme des voix électorales uniquement (31).

Cette nécessité serait liée aux relations de pouvoir globalisées, concrétisées par des standards internationaux de développement. Néanmoins, elle corresponde au même temps à une des revendications centrales d’une partie de la population marocaine, tel qu’il est apparu pendant les mouvements de 2011. On pourrait donc imaginer deux univers qui, sans ignorer tous les conflits qui les séparent, sont peut-être en train de se rapprocher autour des questions de genre. Diriger le regard sur une réalité locale permet de montrer la complexité de la participation politique féminine au Maroc et ses significations, en sachant que – même si le système patriarcale se manifeste de manière plutôt transversale et capillaire – il serait superflu d’accorder une équivalence géographique au genre dans le pays (32).

Conclusion

Les obstacles politiques, culturels et sociaux entravent les femmes au Maroc: leur participation à la vie politique est liée au statut de la femme dans la société, à la justice sociale et aux conditions économiques, politiques, culturelles et sociales (33). Malgré les nombreuses législations favorables aux femmes – avant et après la Constitution de 2011 – et les gains juridiques jugés des véritables percées, « leur mise en oeuvre peut être considérée lente en raison des facteurs économiques, des stéréotypes sociaux, des pratiques discriminatoires traditionnelles et des interprétations extrémistes de la religion qui empêchent souvent de modifier les rôles des hommes et des femmes »(34), ainsi qu’en raison d’une volonté politique de maintenir le statu quo patriarcal.

Si la perspective de longue terme constitue, certes, un outil précieux d’analyse politique, ce n’est pas difficile de comprendre pourquoi certaines groupes de la société – c’est le cas de beaucoup de jeunes – estiment encore nécessaire la contestation radicale finalisée à une représentation substantielle des femmes, concrète, véritable et rapide, ainsi qu’une progressive révolution autour de la notion de genre. Au même temps, il n’est pas surprenant que d’autres groupes profitent des nouvelles opportunités de l’espace démocratique pour mobiliser leur potentiel et s’engager dans les activités qu’ils considèrent propices à promouvoir l’égalité de genre au sein d’un compromis en évolution avec l’État monarchique. On ne peut pas donc nier l’intérêt d’une analyse critique plurielle réunissant les dynamiques socio-politiques ascendantes et descendantes.

Malgré les fractures qui interrogent les mouvements de la société civile, les femmes marocaines assument en effet de nouveaux rôles qui étaient jusqu’auparavant l’apanage des hommes. L’importance de ces évolutions – résultat d’une dynamique à double tranchant complexe que Fatima Sadiqi appelle « féminisation de l’autorité » (35) – est surtout attestée dans le domaine socioculturel où domine un patriarcat spatial séculaire. Les gains des femmes dans les sphères publiques d’autorité ont entraîné un changement radical dans le fondement même de ce patriarcat : un « espace genré » (36).

S’il s’agit uniquement de changements « cosmétiques », qui ne contestent pas les relations de pouvoir et de genre en place dans le pays, les élections de 2021 – législatives, municipales et régionales ensemble pour la première fois – pourraient à cet égard constituer l’occasion, pour les mouvements citoyens et pour l’État, de le démentir, dix ans après 2011 et la naissance du Mouvement du 20 février. Lors de cette occasion – instrument d’expression pour une nouvelle génération – la complexité de l’intersectionnalité, qui est revenue à travers les discours des mouvements sociaux et féministes au Maroc depuis 2011, pourra peut-être gagner du terrain également au niveau local, où les structures traditionnelles joueraient éventuellement un rôle de témoins d’une nouvelle forme d’intégration et pourraient se transformer selon un parcours autochtone et légitime.

 

* Mouvement du 20 février est la traduction française du nom du mouvement de contestation sociale apparu au Maroc le 20 février 2011, simultanément aux manifestations et protestations apparues dans d’autres pays du sud et de l’est de la Méditerranée.

Références

(1) World Bank, (2020). “Population, female (% of total population) – Morocco”, World Development Indicators, The World Bank Group, 18/03/2020 (Donnés concernant 2018).URL : https://data.worldbank.org/indicator/SP.POP.TOTL.FE.ZS?locations=MA
(2) UNDP – Programme des Nations Unies pour le développement (2019) “Rapport sur le développement humain 2019 : Au-delà des revenus, des moyennes et du temps présent : les inégalités de développement humain au XXIe siècle”, p.26. URL : http://hdr.undp.org/sites/default/files/hdr_2019_overview_-_french.pdf
(3) Salime, Z. (2012) “A New Feminism? Gender Dynamics in Morocco’s February 20th Movement” Journal of International Women’s Studies, Bridgewater State University, 13 (5), pp. 101-114. URL : https://vc.bridgew.edu/jiws/vol13/iss5/11/
(4) Salime, Z. (2009). “Revisiting the Debate on Family Law in Morocco: Context, Actors and Discourses” Cuno K. M. & Desai M. (eds) Gender and Family Laws in a Changing Middle East and South Asia, Syracuse University Press, pp. 145-162. URL : www.jstor.org/stable/j.ctt1j5dfd8.13
(5) UNHCR – Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugies (2015), “Removing Gender Discrimination from Nationality Laws” Ending Statelessness Within 10 Years – Good Practices Paper, Action 3. URL : https://www.refworld.org/pdfid/54f8377d4.pdf
(6) Skalli, L.H (2011). “Generational Politics and Renewal of Leadership in the Moroccan Women’s Movement” International Feminist Journal of Politics, 13(3), pp. 329-348. URL : https://doi.org/10.1080/14616742.2011.587366
(7) Sadiqi, F. (2016) “The Feminization of Authority in Morocco” Vianello M. & Hawkesworth M. Gender and Power: Toward Equality and Democratic Governance, pp.389-418. URL: https://www.academia.edu/28783050/Feminization_of_Authority
(8) Association Tazghart (2018), “Le rôle des femmes élues dans la province d’Ifrane” – Fondation des Femmes de l’Euro Méditerranée & IEMed Institut Européen de la Méditerranée, Diagnostic de Terrain 15, 3ème cycle, pp. 1-34. URL: https://docs.euromedwomen.foundation/files/ermwfdocuments/8178_4.233.ler%C3%B4ledesfemmeseluesdanslaprovinced’ifrane-finale.pdf
(9) Ibidem, p. 7.
(10) Amsidder A., Daghmi F., Toumi F. (2012) “La mobilisation sociale à l’ère des réseaux sociaux : Cas du Maroc”, Journal for Communicacion Studies, vol. 5, n.1(9), pp. 151-161. URL: http://www.essachess.com/index.php/jcs/article/view/156/141
(11) Sadiqi, F. (2011) “ Gender at heart of new Moroccan constitution”, The Common Ground News Service – Thompson Reuters Foundation – 7/11/2011 URL : https://news.trust.org/item/20110907150100-i1hw3
(12) Nahimi, M. (2016) “Mouvement du 20 février et appropriation de l’espace public au Maroc” Les Cahiers d’EMAM Études sur le Monde Arabe et la Méditerranée , 28. URL: https://journals.openedition.org/emam/1204
(13) Ibid.
(14) Borrillo, S. (2016-2017) “Egalité de genre au Maroc après 2011 ? Les droits sexuels et reproductifs au centre des récentes luttes de reconnaissance” Di Tolla A.M & Francesca E. EMERGING ACTORS IN POST-REVOLUTIONARY NORTH AFRICA: Gender Mobility and Social Activism, Studi Magrebini – Centro di Studi Magrebini, Università degli Studi di Napoli l’Orientale, Vol. XIV – XV, pp. 393-418. P. 400. URL : https://unior.academia.edu/SaraBorrillo
(15) Royaume du Maroc (2011) – Sécretariat Général du Gouvernement, La Constitution Edition 2011- Serie “Documentation Juridique Marocaine”, article 19, p. 11. URL: http://extwprlegs1.fao.org/docs/pdf/mor128747.pdf
(16) UNESCO (2017) : “Counting (on) women in politics: experiences from Morocco & Tunisia” – Experiences from Morocco & Tunisie, UNESCO, Division for Gender Equality, pp. 80. URL : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000246962
(17) Majdi, Y., Etayea M. (2015) “Elections: les 12 nouveaux présidents de régions passés à la loupe”, 14/09/2015. URL: https://telquel.ma/2015/09/14/elections-les-12-nouveaux-presidents-regions-connus_1462831 et Borrillo, S. (2016-2017), précité, p. 401.
(18) Royaume du Maroc (2011)- Sécretariat Général du Gouvernement, La Constitution Edition 2011- Série “Documentation Juridique Marocaine”, article 135, Titre IX, p. 50. URL: http://extwprlegs1.fao.org/docs/pdf/mor128747.pdf
(19) Royaume du Maroc (2016) Loi n° 113-14 relative aux communes. URL: http://extwprlegs1.fao.org/docs/pdf/Mor177607.pdf
(20) Association Tazghart (2018), “Le rôle des femmes élues dans la province d’Ifrane”, précité, p. 10 .
(21) Ibidem, p. 20.
(22) Royaume du Maroc (2013) – Ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement Social, “Plan Gouvernemental pour l’Égalité « ICRAM » 2012/2016 en perspective de la parité”, pp. 1-134. URL: http://www.ogfp.ma/uploads/documents/Plan%20gouvernemental%20pour%20l’%D8%A3%C2%A9galit%D8%A3%C2%A9%20ICRAM%20(Fran%D8%A3%C2%A7ais).pdf
(23) Royaume du Maroc (2016) – Ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement Social, “Bilan Global 2012-2016: Plan Gouvernemental pour l’Égalité ICRAM”, pp. 1-340. URL: http://www.social.gov.ma/sites/default/files/Plan%20Gouvernemental%20pour%20l%27Egalit%C3%A9-ICRAM%20BilanGlobal_Fr_0.pdf
(24) Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée (2018) “Interviews with elected female officials of the local authorities in Ifrane” – 05/04/2018. URL: https://www.euromedwomen.foundation/pg/en/news/view/7812/interviews-with-elected-female-officials-oflocal-authorities-in-ifrane
(25) Association Tazghart (2018), “Le rôle des femmes élues dans la province d’Ifrane”, précité, p. 23.
(26) Benamier, A. (2018) “Egalité entre les Sexes et Approche du Genre au Maroc” – Village de la Justice 31/07/2018 URL : https://www.village-justice.com/articles/egalite-entre-les-sexes-approche-genre-maroc,29129.html
(27) Association Tazghart (2018), “Le rôle des femmes élues dans la province d’Ifrane”, précité, p. 24.
(28) Ibidem, pp. 25, 26.
(29) Ibidem, pp. 27, 28.
(30) Ibidem, p. 7.
(31) Ibidem, p. 28.
(32) Rajeb, S., Yahyaoui M. (2019) “Statut de la femme marocaine à l’épreuve de l’espace et du droit ” Espace, Territoire et Société au Maroc : Mutation, Dynamiques et Enjeux – FLSH Mohammedia, pp. 283-304. URL: https://www.researchgate.net/publication/337593062_Statut_de_la_femme_marocaine_a_l’epreuve_de_l’espace_et_du_droit
(33) Association Tazghart (2018), “Le rôle des femmes élues dans la province d’Ifrane”, précité, p. 27.
(34) Sadiqi, F. (2016) “The Feminization of Authority in Morocco” in Vianello M. & Hawkesworth M. Gender and Power: Toward Equality and Democratic Governance, précité, pp. 400, 401.
(35) Ibidem, pp. 409, 410, 414.
(36) Ibidem, pp. 406, 407.

 

 

]]>
https://www.wikigender.org/fr/wiki/la-presence-electorale-des-femmes-au-maroc-evolutions-et-contradictions/feed/ 0
L’accès à la sphère politique des femmes au Liban: une course à obstacles https://www.wikigender.org/fr/wiki/lacces-a-la-sphere-politique-des-femmes-au-liban-une-course-a-obstacles/ https://www.wikigender.org/fr/wiki/lacces-a-la-sphere-politique-des-femmes-au-liban-une-course-a-obstacles/#respond Mon, 13 Jan 2020 13:24:18 +0000 https://www.wikigender.org/?post_type=userpress_wiki&p=24121

Article proposé et préparé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro – Méditerranée

Date de publication: 13 janvier 2020

 

[toc]

Introduction

La République libanaise compte environ 6 millions d’habitants, dont un peu plus de la moitié sont des femmes. Selon la classification par Indice de Développement Humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) concernant 2018, le Liban est classé 93 sur un classement de 189 pays. Quant à l’indice du PNUD sur les inégalités entre les sexes, il occupe le 79e rang. Ces positions indiquent que cette petite république fait partie du groupe de pays ayant un indice de développement élevé et un niveau relativement modéré d’inégalité entre les sexes (1).

Les conditions d’accès à l’éducation pour les femmes libanaises, ainsi que celles de leur présence sur le marché du travail, sont parmi les meilleures de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Cependant, dans la pratique, elles ne sont pas égales aux hommes devant la loi et leur présence dans le domaine politique est quasi inexistante. En fait, la représentation des femmes libanaises dans la sphère politique est encore plus faible que dans des pays de la même région avec un IDH inférieur, comme c’est le cas de la Libye, la Syrie, l’Irak ou la Jordanie (2).

Un diagnostic de terrain sur la participation politique des femmes au Liban mené par l’association libanaise Committee for the Follow-Up on Women’s Issues (CFUWI) en 2017 a analysé les causes de cette incohérence plus spécifiquement dans la région de Mont-Liban, mais les résultats sont transportables à d’autres endroits du pays. L’étude a été réalisé dans le cadre du projet Pôles Locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes© lancé par l’IEMed en synergie avec la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée et financé par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (France), visant à autonomiser les acteurs et actrices locaux/les et diffuser leurs actions et conclusions au niveau international (3).

Le diagnostic a révélé que les facteurs responsables de ce problème résident dans la dimension sociale, économique, juridique et dans le système politique lui-même. Ce dernier, noyé dans le sectarisme religieux des 18 confessions qui cohabitent dans le pays, exerce une double discrimination envers les femmes (4). L’empressement à mettre fin à ce système et à revendiquer les droits des femmes a placé les Libanaises au premier plan des manifestations qui ont débuté le 17 octobre, dont l’élément déclencheur a été l’intention du Gouvernement d’appliquer des taxes progressives aux services de médias sociaux et aux produits de usage quotidien, mais qui ont donné lieu à des plaintes contre le Gouvernement et le modèle politique national.

Ainsi, cet article explore le sectarisme religieux comme l’une des causes de la faible représentation féminine dans la sphère politique et d’autres obstacles détaillés dans le diagnostic de CFWUI; et souligne le rôle des femmes et des associations de femmes dans les protestes libanaises de 2019.

Patriarcat, politique et sectarisme religieux

Au Liban, l’identité politique est liée à l’identité confessionnelle. Les différences et le déséquilibre de pouvoir entre les 18 confessions (chrétiens maronites, chrétiens orthodoxes, musulmans sunnites, musulmans chiites, druzes, juifs, etc.) ont plongé le pays dans de nombreux conflits, dont le plus important récemment est la Guerre Civile libanaise de 1975 à 1990. Cette guerre de tous contre tous a confronté des groupes chrétiens, musulmans, laïcs, nationalistes et gauchistes, ainsi que les forces syriennes, les forces israéliennes et les forces palestiniennes (5). Elle est devenue un conflit marqué non seulement par le sectarisme religieux, mais aussi par le sectarisme politique et les influences étrangères.

L’accord de Taëf a marqué le début de la fin de cette guerre. Grâce à ce pacte, on a établi la répartition du pouvoir entre les principales confessions du pays : le président serait un chrétien maronite, le premier ministre un musulman sunnite et le porte-parole du parlement un musulman chiite (6). Cependant, une partie importante de la population n’a été même pas prise en compte dans cette équation « équitable »: les femmes.

Construire un Gouvernement sur les fondements de confessions monothéistes et patriarcales est une garantie absolue de double discrimination et marginalisation des femmes (basée sur le genre et sur la confession) au niveau politique. Nonobstant, même avant l’accord de Taëf, le rôle des femmes dans ce domaine était minime. Depuis le moment où la première Libanaise a occupé un siège au Sénat en 1963, seulement 11 femmes sont passées par le Parlement. En outre, la légitimité de ces candidates a toujours été subordonnée à leur parenté avec des dirigeants politiques masculins, preuve du patriarcat que le système politique subit et de la suprématie de certaines familles (7).

État de la question : une course à obstacles

Dans le Gouvernement actuel (dont le Premier ministre a démissionné il y a quelques semaines en raison de la pression des révoltes dans le pays), il n’y a que 4 femmes ministres (8) et, au Parlement, seulement 4,6% des sièges sont occupés par des femmes (9). Au-delà du contexte décrit précédemment, d’autres facteurs entraînent des obstacles à l’avancement des femmes en politique.

D’un côté, l’économie affecte à leur participation et présence dans les affaires publiques. Les femmes sont toujours moins présentes au marché du travail (surtout dû au modèle familial patriarcal) et, par conséquence, plus enclines à la pauvreté que les hommes. Quoique le pourcentage de Libanaises parmi la population active surpasse la moyenne de la région (23,5% contre 20,45% selon les données du PNUD du 2018), la différence par rapport au pourcentage de Libanais est énorme (23,5% contre 70,9%, PNUD 2018). Cela, outre le manque de soutien financier des parties politiques, constitue un mur entre les femmes et certaines procédures coûteuses mais élémentaires en politique, comme les campagnes électorales (10).

D’un autre côté, l’inégalité femmes-hommes et les images traditionnelles concernant le rôle des femmes sont ancrées dans la société. D’une part, la discrimination à l’égard des femmes est dans les manuels scolaires et, d’autre part, les médias transmettent et commercialisent une image stéréotypée des femmes qui les éloigne du domaine de la politique (11).

Au niveau juridique, bien que l’État libanais ait ratifié la Convention sur l’Élimination de toutes les Formes de Discrimination à l’Égard des femmes (CEDEF) avec certaines réserves, celles-ci ne visent pas les articles 7 et 8 concernant l’égalité des droits politiques et civils féminins (12). Cependant, selon le diagnostic du CFWUI, aucune mesure n’a été proposée pour encourager et faciliter l’accès des femmes à la sphère politique.

Le diagnostic révèle aussi que les femmes se retrouvent souvent reléguées au domaine associatif, dont l’impact est limité dû au manque d’influence de la société civile sur les responsables politiques et aux différences entre les associations en raison de la concurrence pour l’accès au financement et la segmentation confessionnelle. Cela est perçu comme une stratégie de l’élite gouvernante pour éloigner les femmes de l’appareil politique.

L’accès à la sphère politique des femmes au Liban : une course à obstacles

Nariman Chamaa, présidente et fondatrice de l’association « Donia for Sustainable Development », (13) journaliste et candidate au parlement en 2018, a dénoncé les difficultés qu’elle a traversé le long de sa candidature échoué : « certains candidats hommes ont payé aux entreprises de transports publiques pour s’assurer que juste leurs images et campagnes fussent affichées».

En plus, l’application d’un système de quota est toujours sur le papier malgré les efforts d’associations comme CFWUI et Women in Front. Cette dernière a lancé en 2017 une campagne nationale de plaidoyer comprenant des vidéos promotionnelles pour sensibiliser les citoyen-ne-s aux avantages du quota féminin en tant que mesure temporaire pour accroître la représentation des femmes en politique et revendiquant un quota du 30% avant les élections de 2018 (14).

Protestes du 2019 : la révolution des femmes

Les manifestations qui ont commencé en octobre sont devenues le champ de bataille des femmes (surtout des jeunes femmes) contre le système qui les opprime. Soit au titre individuel ou à travers les associations de la société civile, elles sont à la tête des barricades et appellent à la chute du régime dans son ensemble et à la construction d’un nouveau appareil politique laïque.

La participation politique est devenue l’axe de leurs revendications et elles ne visent plus un quota du 30%, mais la parité totale. Elles considèrent que cette stratégie est la seule voie pour briser les obstacles à tous les niveaux et pour obtenir d’autres droits que l’on leurs refuse, comme celui de transmettre leur nationalité à leurs enfants si elles épousent des hommes étrangers ou celui d’un mariage civil avec des droits égaux en matière d’héritage, de divorce ou de garde des enfants. Elles demandent également la fin du mariage des mineures, pratique toujours en vigueur dans certaines régions (15).

Les associations de femmes ne s’arrêtent pas. « Donia for Sustainable Development », membre de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée avant citée, a organisé le 21 novembre à Tripoli un dialogue sur le rôle des femmes dans la révolution et leur image dans les médias (16). Le fait que sa présidente et fondatrice, Nariman Chamaa, ait connu le même destin que la plus part des femmes candidates en 2018 n’est pas un élément démotivant mais, bien au contraire, une incitation qui nourrit la lutte pour une société égalitaire.

Conclusions

L’accès à la sphère politique au Liban est tout à fait une course à obstacles. Des facteurs diverses empêchent l’égalité femmes-hommes dans ce domaine : du côté économique, on met en relief la « pauvreté des femmes » ; du côté social et culturel, les modèles familiales et sociétales hiérarchiques et patriarcales et les images stéréotypées transmises à travers l’éducation et les médias; du côté juridique, la manque de mesures pour encourager et faciliter l’accès des femmes à la sphère politique, l’inégalité femmes-hommes en matière de lois concernant le statut personnel et l’absence d’un système de quota; et finalement, du côté politique lui-même, le modèle confessionnel qui favorise le sectarisme religieux et le patriarcat.

Nonobstant, les protestes de 2019 sont devenues une chance pour les femmes de revendiquer la rupture avec le système politique confessionnel en vigueur et d’atteindre la parité totale. Établir un quota du 50% dans un appareil politique laïc est une mesure d’urgence indispensable pour garantir l’égalité femmes-hommes à tous les niveaux (économique, social, juridique et politique) et pour mettre fin à toute forme de violence et discriminations envers les femmes. Le rôle des médias et des associations de la société civile constituera un élément clé dans le dénouement de cette révolution à voix féminine et sans précédents.

Références

(1) PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE DEVELOPPEMENT (PNUD), Rapport sur le développement humain 2019 http://hdr.undp.org/sites/default/files/hdr_2019_overview_-_french.pdf
(2) KASSEM, F. Party Variation in Religiosity and Women’s Leadership: Lebanon in Comparative Perspective (Doctoral dissertation, Columbia University), 2011
(3) FONDATION DES FEMMES DE L’EURO – MEDITERRANEE, Pôles Locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes©, https://docs.euromedwomen.foundation/files/ermwf-news/6131_localclustersbookleten.pdf
(4) Committee for the Follow-Up on Women’s Issues (CFUWI), La participation politique des femmes au Liban. Perspectives du Mont-Liban, 2017 https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/7093/diagnostic-terrain-la-participation-politique-femmes-au-liban-perspectives-mont-liban
(5) PICARD, E. La guerre civile au Liban. Online Encyclopaedia of Mass Violence, 2012 https://histoire.ac-versailles.fr/IMG/pdf/dafpa_e_picard_texte.pdf
(6) KASSEM, F. Party Variation in Religiosity and Women’s Leadership: Lebanon in Comparative Perspective (Doctoral dissertation, Columbia University), 2011
(7) Ibid.
(8) LIBANEWS, Liban : la composition du nouveau gouvernement, 2019 https://libnanews.com/liban-composition-gouvernement-saad-hariri-2018/
(9) UNION INTERPARLEMENTAIRE. Les femmes dans les parlements nationaux : classement mondial, 2019 https://data.ipu.org/fr/women-ranking?month=10&year=2019
(10) Committee for the Follow-Up on Women’s Issues (CFUWI), La participation politique des femmes au Liban. Perspectives du Mont-Liban, 2017 https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/7093/diagnostic-terrain-la-participation-politique-femmes-au-liban-perspectives-mont-liban
(11) Ibid
(12) HAUT-COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES POUR LES DROITS DE L’HOMME (OHCHR), Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, 1979 https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CEDAW.aspx
(13) FONDATION DES FEMMES DE L’EURO – MEDITERRANEE, Donia for Sustainable Development https://www.euromedwomen.foundation/pg/en/profile/narimanelchamaa
(14) FONDATION DES FEMMES DE L’EURO – MEDITERRANEE, Women in Front poursuit sa lutte pour des quotas féminins au Parlement libanais https://www.euromedwomen.foundation/pg/en/news/view/7095/women-in-front-continues-its-struggle-for-female-quota-at-lebanese-parliament
(15) EL PAÍS. La revolución tiene voz femenina en Líbano, 2019 https://elpais.com/internacional/2019/11/05/actualidad/1572974665_298313.html
(16) DONIA FOR SUSTAINABLE DEVELOPMENT, Dialogue « Les femmes révolutionnaires », 2019 https://www.facebook.com/Donia.org/photos/rpp.1410965575787715/2397091007175162/?type=3&theater

]]>
https://www.wikigender.org/fr/wiki/lacces-a-la-sphere-politique-des-femmes-au-liban-une-course-a-obstacles/feed/ 0
La prostitution et la traite des femmes au Liban https://www.wikigender.org/fr/wiki/la-prostitution-et-la-traite-des-femmes-au-liban/ https://www.wikigender.org/fr/wiki/la-prostitution-et-la-traite-des-femmes-au-liban/#respond Tue, 13 Aug 2019 15:57:25 +0000 https://www.wikigender.org/?post_type=userpress_wiki&p=23894

Article proposé et préparé par le Secrétariat de la Fondation des Femmes de l’Euro-Méditerranée

Date de publication: 13 août 2019

Introduction

À l’occasion de la journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains, le 30 juillet, nous proposons d’aborder dans cet article le sujet de la traite des femmes aux fins d’exploitation sexuelle au Liban, où la combinaison d’une situation économique déjà délicate, d’un afflux important de réfugié-e-s et d’une scène politique et sociale extrêmement complexe et détériorée, semble encourager l’impunité pour ce type d’exploitation.

Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la traite à des fins d’exploitation sexuelle reste la forme la plus détectée et les trafiquants ciblent principalement les femmes et les filles: 71 % des victimes dans le monde sont des femmes; principalement des femmes adultes, mais aussi de plus en plus de filles. Près des trois quarts des victimes de la traite identifiées pour l’exploitation sexuelle sont des femmes et 35% des victimes de la traite aux fins de travail forcé sont également des femmes [1]. Plusieurs rapports suggèrent que le Liban est un pays de transit et de destination pour un grand nombre de travailleurs et travailleuses domestiques migrant-e-s, dont un nombre considérable sont victimes de la traite et souffrent des situations d’exploitation du travail. Il s’agit également d’un pays de transit et destination pour des femmes, libanaises et étrangères, exploitées dans le secteur du sexe [2].

Cet article s’appuie principalement sur un diagnostic produit par la Lebanese League for Women’s Rights (Ligue des droits de la femme libanaise – ci-après LLWR) qui a analysé la prostitution dans la banlieue-est de Beyrouth, et plus particulièrement à Sin-El-Fil, une localité très peuplée et habitée par des Libanais-e-s appartenant, majoritairement, à des familles de déplacé-e-s libanais-e-s et des réfugié-e-s syrien-ne-s et irakien-ne-s. Les habitant-e-s de la banlieue-est de Beyrouth, populaire et riche en même temps, font face à des difficultés telles que le chômage, le cout élevé du niveau de vie, et l’absence de services étatiques.

Pour réaliser ce diagnostic, la LLWR a réalisé plus de 15 rencontres avec des acteurs qui travaillent sur la traite des femmes: organismes libanais, associations locales et journalistes. En tant que chef de file d’un pôle local d’acteurs de l’égalité femmes-hommes au Liban, la LLWR a travaillé en collaboration avec l’association Egalité Wardah Boutros pour les droits des femmes (AWB) et d’autres partenaires, aussi bien qu’avec la Fondation des Femmes de l’Euro- Méditerranée (FFEM) et l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed).

En effet, la FFEM a pour vocation d’analyser les réalités des femmes au niveau local et les politiques publiques qui les concernent à l’aide de consultations et de dialogues de proximité. Pour ce faire, la FFEM met en place annuellement des pôles locaux d’acteurs de l’égalité femmes-hommes en Algérie, Égypte, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine et Tunisie (1 par pays). Leur mission est de mobiliser les acteurs de l’égalité au moyen d’activités de collectes de données, de consultations et d’échanges d’expériences dans le but d’analyser des thèmes liés aux droits des femmes et de faire un suivi de l’effectivité des politiques publiques dans ces domaines avec une approche participative.

En 2017, plus de 15 rencontres ont été menées pour mobiliser les parties qui travaillent au Liban dans le domaine de la traite des êtres humains et de la prostitution. ©IEMed_LLWR

Toutes les informations liées aux résultats des pôles locaux sont disponibles sur www.euromedwomen.foundation, et font l’objet d’une vaste diffusion dans la région euro- méditerranéenne.

La situation actuelle : freins et leviers de changement

Le Liban présente une situation socio-économique assez précaire caractérisé par une pauvreté généralisée, du chômage, de divisions confessionnelles, d’amples déséquilibres entre régions rurales et urbaines, ainsi que de profondes disparités sociales entre les étendus de bidonvilles et le peu de gratte-ciels dans des localités comme Sin-El-Fil dans la banlieue-est de Beyrouth. Dans un pays où habitent plus d’un million de réfugié-e-s, soit près d’un sixième de sa population, 25% de la société libanaise vit sous le seuil de la pauvreté. Tenant compte que le gouvernement libanais ne chiffre pas beaucoup de réfugié-e-s dans les statistiques officielles, les effets de la pauvreté pourraient être plus étendues que celles le suggèrent. En outre, la guerre civile et les agressions israéliennes ont beaucoup affectées la vie du peuple libanais.

Au-delà de cela, l’arrivée de déplacé-e-s palestinien-ne-s, irakien-ne-s et syrien-ne-s comme conséquence des conflits dans la région a désormais aggravé les difficultés que la société libanaise affronte. Les pressions et les fardeaux supportés par le Liban tout en répondant aux besoins des réfugié-e-s et de la communauté d’accueil et dont les ressources sont épuisées le rendent souvent incapable de respecter ses obligations envers les réfugié-e-s, ce qui entraîne la marginalisation de nombreux groupes. Dans tel contexte de pauvreté où le tissu social est fragmenté, la traite de personnes s’accentue. Cela affecte notamment des filles et des femmes de diverses nationalités ayant fui leur pays pour des raisons sociopolitiques variées telles que les guerres, la misère ou les changements politiques. Beaucoup de ces femmes et filles ne disposent pas de la documentation adéquate, ce qui limite leur liberté de mouvement et leur accès aux services de base et les expose à un risque accru de harcèlement et d’exploitation [3].

Au Liban, la traite est un fléau de longue date, la prostitution est bien ancrée dans la société et très rarement remise en question. Bien que la prostitution soit interdite au Liban (loi nº164 sur la pénalisation des crimes relevant de la traite des personnes), le phénomène est très visible, il représente même une rentable attraction touristique connue dans la région. Du point de vue légal, les femmes qui pratiquent la prostitution peuvent être criminalisées et pénalisées, contrairement aux clients qui sont exemptés de toute responsabilité, alors même qu’ils sont la raison d’être du marché de la prostitution. Par conséquent, la prostitution ne se définît pas comme une relation contractuelle entre deux parties aux droits égaux, mais comme l’achat de services sexuels qui déshumanise les femmes, les transformant en biens consommables [4].

La prostitution est notamment taboue au Liban où la société, solidement traditionnelle, refuse d’en parler ouvertement. La loi du silence, ayant pour base les coutumes et les traditions nationales, a plusieurs effets : d’une part, un manque flagrant de données et d’informations officielles sur les conditions de travail et de vie des femmes prostituées. Et d’autre part, elle a un effet dissuasif, qui se traduit par une réduction au minimum du nombre d’entités travaillant sur ce sujet. Tout cela contribue à une impunité quasi-totale des coupables [5].

Les statistiques fournies par les organismes publiques offrent cependant une vision biaisée de la réalité avec des chiffres considérablement réduits, qui ne sont pas représentatifs de l’ampleur du problème. Parallèlement, le phénomène des prétendus « mariages » contractés avec des adolescentes de moins de 15 ans augment. Quelques mois après l’union, les jeunes filles sont forcées à se prostituer [6].

Malgré le fait que depuis 2011 la traite des personnes est considérée comme un crime, ni le gouvernement ni le parlement n’ont pris de mesures efficaces pour assurer une législation pertinente. En outre, le Ministère de l’éducation ne prévoit pas dans le cadre de ces programmes le sujet de la traite des personnes ou de la pédophilie. Quant aux municipalités, elles n’ont pas mis en place de structures permettant de lutter contre le problème sous prétexte de manque de compétences sur le sujet [7].

Tenant compte de l’acceptation de la prostitution et de la traite des êtres humains par la société libanaise et son inaction face aux problèmes, ainsi qu’au quasi absence des institutions publiques désignées pour les combattre, les associations qui concentrent leurs efforts sur les racines de la traite et la prostitution sont très peu nombreuses.

Le fait que les racines de la traite et de la prostitution ne soient pas abordées par les ONG a une répercussion sur les médias, qui marginalisent eux aussi les nouvelles sur le sujet. Pourtant, les médias pourraient informer le grand public et jouer un rôle déterminant pour les victimes en relatant l’ampleur du problème et ses terribles conséquences.

Les réseaux sociaux sont utilisés comme plateformes pour fournir un large choix aux «consommateurs» et les visas professionnels rendent plus faciles le droit d’entrer sur le sol Libanais. Ces facteurs favorisent la traite et l’exploitation des filles et des femmes [8].

Conclusion : mécanismes de lutte contre la traite et la prostitution

Au vu de la faible sensibilisation sur la traite et la prostitution au Liban il est essentiel de mettre en place une action commune entre ministères, organismes officiels responsables, municipalités et les ONG. Cette action devra tout d’abord reposer sur l’application de la loi 164, et très particulièrement sur la partie concernant les sanctions applicables à l’encontre des contrevenants.

Afin d’améliorer la situation tous les acteurs impliqués dans le diagnostic mené par l’association LLWR, ont proposé plusieurs pistes d’action pour le futur, à savoir :

-Sensibiliser les administrations publiques au problème de la traite en les responsabilisant sur leur rôle dans l’application des lois existantes et dans la prise de mesures efficaces ;

  • Aborder la traite, la pédophile et la prostitution dans les manuels scolaires libanais ;
  • Concevoir des campagnes de sensibilisation dans les médias avec la participation de spécialistes, pour assurer la compréhension du sujet et transmettre des mesures de prévention ;
  • Informer la population pour qu’elle acquière une plus juste connaissance de l’ampleur du problème et de ses conséquences sur la société libanaises et le droit de femmes ;
  • Favoriser la mobilisation et l’implication des ONG sur le phénomène de la traite facilitant l’accès aux financements ;
  • Lutter contre la situation précaire des personnes subissant la traite pour leur trouver une alternative à la prostitution.

ll reste à noter que malgré le manque d’acteurs dans la lutte contre la traite des femmes et la prostitution, qui est l’une des formes de traite les plus courantes, certains travaillent dur pour changer cette réalité, comme l’Ordre des Avocats de Beyrouth, qui a lancé un guide sur la lutte contre la traite des êtres humains [9].

Références

[1] Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Global report on trafficking in persons 2016, p. 7. https://www.euromedwomen.foundation/pg/en/documents/view/8505/global- report-on-trafficking-in-persons-2018

[2] United Nations, Report of the Special Rapporteur on trafficking in persons, especially women and children, Mission to Lebanon, 2016 p. 4, UN, https://www.refworld.org/type,MISSION,UNCHR,,441182190,0.html

[3] LEBANESE LEAGUE FOR WOMEN’S RIGHTS (Ligue des droits de la femme libanaise – LLWR) Dignostic de terrain : La prostitution et la traite des femmes dans la banlieue-est de Beyrouth, FFEM              and               IEMed,              2018,                          p. 14. https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/7894/diagnostic-terrain-la- prostitution-traite-femmes-dans-banlieueest-beyrout

[4] GHADA JABBOUR, Exploring the demand for prostitution: What Male Buyers Say About Their Motives, Practices, and          Perceptions,          Kafa,          2014         p. 10 https://www.euromedwomen.foundation/pg/en/documents/view/8121/exploring-demand-for- prostitution-what-male-buyers-say-about-their-motives-practices-and-perception 

[5] LEBANESE LEAGUE FOR WOMEN’S RIGHTS (Ligue des droits de la femme libanaise – LLWR). Op. cit., 14.

[6] LEBANESE LEAGUE FOR WOMEN’S RIGHTS (Ligue des droits de la femme libanaise – LLWR) Op. cit., p.11

[7] LEBANESE LEAGUE FOR WOMEN’S RIGHTS (Ligue des droits de la femme libanaise – LLWR). Op. cit., p.14

[8] LEBANESE LEAGUE FOR WOMEN’S RIGHTS (Ligue des droits de la femme libanaise – LLWR). Op. cit., p.15

[9] ORDRE DES AVOCATS DE BEYROUTH, Guide pratique sur la lutte contre le trafic des êtres humains, 2014 https://www.euromedwomen.foundation/pg/fr/documents/view/7993/guide-pratique-sur-lutte- contre-trafic-etres-humains

]]>
https://www.wikigender.org/fr/wiki/la-prostitution-et-la-traite-des-femmes-au-liban/feed/ 0
Harcèlement sexuel : quelles réponses juridiques suite à l’affaire Weinstein ? https://www.wikigender.org/fr/wiki/harcelement-sexuel-reponses-juridiques/ https://www.wikigender.org/fr/wiki/harcelement-sexuel-reponses-juridiques/#respond Fri, 31 Aug 2018 09:18:20 +0000 https://www.wikigender.org/?post_type=userpress_wiki&p=11386 Par Lucia Gruet

[toc]

L’affaire Weinstein : chronique d’un séisme mondial

L’affaire Harvey Weinstein, du nom du producteur américain accusé par une douzaine d’actrices en octobre 2017 aux États-Unis de harcèlement sexuel mais aussi d’agressions et de viols, a créé une prise de conscience mondiale. Depuis le début de cette affaire, les langues se délient et les situations sont mises en lumière notamment par les nombreux témoignages d’actrices ou d’anonymes sur les réseaux sociaux grâce aux mouvements #MeToo ou #BalanceTonPorc. Même si toutefois, comme l’affirme la directrice d’ONU Femmes Phumzile Mlambo-Ngcuka dans un récent entretien, ces témoignages ne représenteraient en réalité que la « partie visible de l’iceberg » (The Guardian, 2018).

Tous les quatre ans, le centre de Développement de l’OCDE publie une base de données sur les lois qui protègent les femmes notamment contre la violence, dans le cadre d’un rapport intitulé « Social Institutions and Gender Index (SIGI) ». Son édition 2018 révèle que sur les 180 pays couverts par l’étude, , 149 pays ont actuellement une loi sur le harcèlement sexuel (OCDE, 2018). Mais face à l’émoi qu’a suscité l’affaire Weinstein, plusieurs États se sont d’ores et déjà saisie de la problématique afin de mieux y faire face et protéger les victimes que ce soit dans le milieu du travail mais aussi dans l’espace public car la question du harcèlement sexuel touche toutes les sphères de la vie sociale.

Changer la relation au corps de la femme dans l’espace public en verbalisant le harcèlement de rue

C’est notamment le cas de la France, qui dans un projet de loi présenté en mars 2018 par la Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, propose d’inscrire la notion de harcèlement de rue dans la loi ainsi que de créer une nouvelle infraction « l’outrage sexiste » verbalisable par les agents publics et passible d’amende (Secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, 2018). Actuellement en France, depuis la loi n°2012-954 de 2012, le harcèlement sexuel[1] est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende (Code Pénal, Article 222-33). En revanche, la législation ne fait actuellement pas mention du harcèlement que les femmes peuvent subir dans la rue. Cette nouvelle loi serait donc une avancée importante, mais également nécessaire. En effet, une enquête de la Fondation Jean Jaurès réalisée en 2017 confirme l’ampleur des pratiques de harcèlement subies par les femmes en France et plus particulièrement dans la rue. Dans cette étude, 8 femmes sur 10 interrogées déclarent avoir des craintes pour leur intégrité physique lorsqu’elles sont dans la rue ou dans les transports (Fondation Jean Jaurès, 2017).

Le harcèlement de rue, loin d’être un phénomène isolé, est un fléau qui touche les femmes à l’échelle planétaire. Et d’autres pays, n’ont pas attendu l’éclatement du scandale Weinstein pour se saisir du problématique. Par exemple, le Pérou a voté dès 2015 une loi visant à reconnaître le harcèlement sexuel dans la rue comme un délit. Elle prévoit notamment des peines allant jusqu’à 12 ans de prison pour toute forme aggravée de harcèlement de rue (notamment si la victime a moins de 14 ans et si l’acte est dégradant ou provoque des dommages à sa santé physique et mentale). Pour ceux qui s’adonnent à des attouchements ou commettent des attentats à la pudeur dans les transports publics, une peine d’au moins trois ans de prison est appliquée (Ley para prevenir y sancionar el acoso sexual en espacios públicos, 2015).

Le traitement du harcèlement sexuel aux États-Unis

De l’autre côté de l’atlantique, aux États-Unis, là où a éclaté l’affaire Weinstein, la question du harcèlement sexuel fait également débat. D’autant plus que contrairement à ce que l’on pourrait croire, le harcèlement sexuel[2] aux États-Unis, s’il est sanctionné par le droit du travail, n’est pas réprimé sur le plan pénal par le droit fédéral. D’ailleurs, le droit du harcèlement sexuel aux États-Unis, d’origine jurisprudentielle, ne s’est développé que tardivement. En 1964, le titre VII du Civil Rights Acts, loi-phare de l’ère de la conquête des droits civiques, interdit toute discrimination fondée sur le sexe. En revanche, ce texte ne mentionne pas explicitement le concept de harcèlement sexuel. Ce n’est que bien plus tard, en 1980, que l’Equal Employment Opportunity Commission (« EEOC »), adopte des directives traitant expressément du harcèlement sexuel et précisera les contours de l’infraction (EEOC Guidelines on Discrimination Because of Sex, 1980). En 1998, on assiste à un nouveau tournant, la Cour suprême imposera des règles strictes à la reconnaissance du harcèlement sexuel au travail : celui-ci devant être « suffisamment grave ou envahissant pour altérer les conditions de travail » (Oncale v. Sundowner Offshore Services, Inc., et al, 1998).

Les clauses de confidentialité dans la mire des autorités américaines

Cependant, cette jurisprudence plutôt rigide de la Cour suprême sur le harcèlement sexuel ainsi que les réponses apportées par les employeurs sont depuis de nombreuses années la cible de critiques nourries aux États-Unis. Et suite à l’éclatement du scandale Weinstein, plusieurs États ont décidé de s’attaquer au problème. L’État de Washington notamment, par le biais d’une loi qui entrera en vigueur en Juin 2018, a adopté plusieurs dispositions visant à encourager les plaintes contre le harcèlement sexuel au travail. Plus particulièrement en interdisant les règlements à l’amiable (relativement courants dans ce genre de cas) et en rendant illégales les clauses de confidentialité portant sur des faits de harcèlement sexuel (Lexology, 2018). Selon le Economic Policy Institute, plus de la moitié des salariés américains auraient, dans leur contrat de travail, ce genre de clause (Economic Policy Institute, 2017). Et celles-ci ont actuellement très mauvaise presse, car elles sont accusées d’avoir favorisé et prolongé l’omerta autour de l’affaire Weinstein. Dans l’état de New York, un projet de loi adopté par le parlement en Mars 2018 est actuellement en attente de signature du gouverneur de l’État et permettrait d’adopter des protections similaires pour lutter contre ce type de clauses dans les contrats de travail (The New York Times, 2018).

Lois sur le harcèlement sexuel au travail : en finir avec l’impunité

Traditionnellement, la notion de harcèlement sexuel a souvent été associée au milieu du travail car elle est intimement liée aux relations de pouvoir et de hiérarchie. Malgré des avancées considérables à travers le monde dans ce domaine ces dernières années et en particulier dans trois pays : le Cameroun (Loi 2016/007 2016, Art 302), l’Iraq (Code du Travail de 2015, Arts 10-11) et l’Afghanistan (Loi sur l’interdiction du harcèlement des femmes, 2015, Arts 2, 3, 12 & 13) qui ont adopté en 2015 et 2016 leurs premières lois criminalisant le harcèlement sexuel dans le milieu du travail, la situation dans le monde reste alarmante. C’est ce que révèle l’étude Social Institutions and Gender Index 2018 de l’OCDE : 29 pays n’offrent aucune forme de protection juridique face au harcèlement sexuel au travail. Parmi les 180 pays étudiés, 5 sur 6 des pays de la région Afrique du Nord et 7 sur 18 pays de la région Asia de l’Ouest font partie des pays n’ayant aucune loi traitant du harcèlement sexuel au travail. Parmi les pays de l’OCDE, seul le Japon n’a aucune législation sur le sujet (OCDE, 2018).

Quand le harcèlement sexuel se répand sur la toile

Le harcèlement sexuel peut également se produire dans d’autres sphères y compris sur internet. Très peu de pays -même ceux appartenant au groupe de l’OCDE- ont actuellement une législation visant spécifiquement à lutter contre cette forme de harcèlement pourtant de plus en plus répandue avec l’avènement des réseaux sociaux. Certains pays ont néanmoins commencé à mettre en place des législations spécifiques permettant de mieux protéger et répondre aux besoins des victimes. C’est notamment le cas de Singapour qui en 2014, a fait passer une loi criminalisant le harcèlement en ligne et la cyberintimidation. En plus du recours pénal, il permet également aux victimes de déposer une demande d’ordonnance de protection (Protection from Harassment Act 2014, Art 3).

 

Sources

Afghanistan Loi sur l’interdiction du harcèlement des femmes (2015), http://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/ELECTRONIC/102063/123256/F2064230249/AFG102063.pdf (consulté le 12 mai 2018)

Cameroun Loi 2016/007 (2016), http://www.droit-afrique.com/uploads/Cameroun-Code-2016-penal1.pdf (consulté le 12 mai 2018)

Civil Rights Acts (1964), Title VII, https://www.eeoc.gov/laws/statutes/titlevii.cfm (consulté le 12 mai 2018)

Economic Policy Institute (2017), The growing use of mandatory arbitration, https://www.epi.org/publication/the-growing-use-of-mandatory-arbitration/ (consulté le 12 mai 2018)

EEOC Guidelines on Discrimination Because of Sex (1980), https://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CFR-2011-title29-vol4/xml/CFR-2011-title29-vol4-part1604.xml (consulté le 12 mai 2018)

Fondation Jean Jaurès (2018), Les inégalités femmes-hommes dans la société française, https://jean-jaures.org/nos-productions/les-inegalites-femmes-hommes-dans-la-societe-francaise (consulté le 3 Avril 2018)

Iraq Code du Travail (2015), http://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/MONOGRAPH/96652/114261/F-218842884/IRQ96652%20Eng.pdf (consulté le 12 mai 2018)

Lexology (2018), Washington Lawmakers Aim to Stop Workplace Sexual Harassment and Close Gender Pay Gaps, https://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=a23c0203-5fcd-4948-98d5-bb059623b04d (consulté le 3 Avril 2018)

Ley para prevenir y sancionar el acoso sexual en espacios públicos (2015), http://www.elperuano.com.pe/NormasElperuano/2015/03/26/1216945-2.html (consulté le 12 mai 2018)

Loi n°2012-954 (2012), Article 1 https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=9C3191308FAC34331FB6730133AFCF8F.tplgfr38s_2?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIARTI000026268200&dateTexte=20180516&categorieLien=id#LEGIARTI000026268200 (consulté le 12 mai 2018)

Oncale v. Sundowner Offshore Services, Inc., et al (1998), https://supreme.justia.com/cases/federal/us/523/75/ (consulté le 12 mai 2018)

Secrétariat d’État chargé de l’Egalite entre les femmes et les hommes (2018), Le projet de loi vient compléter un arsenal inédit de mesures pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2018/03/CP-Le-projet-de-loi-vient-completer-un-arsenal-inedit-de-mesures-.pdf (consulté le 3 Avril 2018)

Singapore, Protection from Harassment Act (2014), https://sso.agc.gov.sg/Act/PHA2014 (consulté le 12 mai 2018)

The Guardian (2018), Women sex abuse cases tip of iceberg: UN, http://www.theguardian.com.au/story/5273964/women-sex-abuse-cases-tip-of-iceberg-un/?cs=5 (consulté le 3 Avril 2018)

The New York Times (2018), New York rewrites harassment laws, but some say the changes fall short, https://www.nytimes.com/2018/03/30/nyregion/new-york-revised-sexual-harassment-laws.html (consulté le 3 Avril 2018)

Lectures Complémentaires

ONU Femmes (2018), « J’ai appris à respecter les femmes » – Les chauffeurs de tuk-tuk unissent leurs efforts pour rendre les rues du Caire plus sûres pour les femmes, http://www.unwomen.org/fr/news/stories/2018/1/feature–egypt-tuk-tuk-drivers-join-efforts-to-make-the-streets-safe (consulté le 28 mai 2018)

UNESCO (2018), Éducation sexuelle complète pour prévenir la violence basée sur le genre, https://fr.unesco.org/news/education-sexuelle-complete-prevenir-violence-basee-genre (consulté le 28 mai 2018)

Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (2018), Contribution relative à la verbalisation du harcèlement dit « de rue », http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_contribution_relative_a_la_verbalisation_hdr_20180319.pdf (consulté le 28 mai 2018)

Organisation panaméricaine de la santé (2012), Violence against Women in Latin America and the Caribbean: A comparative analysis of population-based data from 12 countries, http://iris.paho.org/xmlui/handle/123456789/3471 (consulté le 28 mai 2018)

WHO and United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC) (2015), Strengthening the medico-legal response to sexual violence, http://www.who.int/reproductivehealth/publications/violence/medico-legal-response/en/, (consulté le 28 mai 2018)

[1] Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. (Code Pénal, Article 222-33)

[2] Le harcèlement sexuel est défini comme un « comportement de nature sexuelle non désiré » (Code of Federal Regulations, PART 1604—Guidelines on discrimination because of sex, Sec. 1604.11)

 

]]>
https://www.wikigender.org/fr/wiki/harcelement-sexuel-reponses-juridiques/feed/ 0
Violence faite aux femmes- Lutte contre la traite des êtres humains https://www.wikigender.org/fr/wiki/violence-faite-aux-femmes-lutte-contre-la-traite-des-etres-humains/ https://www.wikigender.org/fr/wiki/violence-faite-aux-femmes-lutte-contre-la-traite-des-etres-humains/#respond Mon, 10 Oct 2016 08:28:35 +0000 http://www.wikigender.org/fr/?post_type=userpress_wiki&p=9076 Le ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains, ont le plaisir de vous inviter au colloque

Mieux former pour mieux accompagner

Vendredi 25 novembre 2016
salle Laroque – Ministère des Affaires sociales,
14 avenue Duquesne, Paris 7e.

De 9h00 à 17h00

De nouveaux outils de formation permettant d’améliorer le repérage, la prise en charge et l’orientation des femmes victimes de violences et des mineurs victimes de la traite des êtres humains seront présentés, notamment :

  • Un kit pédagogique sur la traite des mineurs
  • Un kit pédagogique sur les mutilations sexuelles féminines
  • Trois kits pédagogiques sur les harcèlements et les violences sexuels dans les transports et lieux de travail en partenariat avec les ministères économiques et financiers et le ministère de la défense

Des documents professionnels destinés à faciliter la prise en charge des femmes victimes par les chirurgiens-dentistes, les médecins, les sages-femmes, les travailleurs sociaux seront également présentés

Les inscriptions ne sont pas encore ouvertes. Vous recevrez prochainement un message vous annonçant la mise en ligne du programme et l’ouverture des inscriptions.

Le secrétariat de la manifestation :
Tél : +33 (0)1 47 70 72 46

republique

]]>
https://www.wikigender.org/fr/wiki/violence-faite-aux-femmes-lutte-contre-la-traite-des-etres-humains/feed/ 0
Écarts de salaire entre femmes et hommes https://www.wikigender.org/fr/wiki/ecarts-de-salaire-entre-femmes-et-hommes/ https://www.wikigender.org/fr/wiki/ecarts-de-salaire-entre-femmes-et-hommes/#respond Sat, 02 Apr 2016 09:19:35 +0000 http://www.wikigender.org/fr/?post_type=userpress_wiki&p=6923

Définitions et enjeux des écarts salariaux

Aucun pays au monde n’accorde aux femmes et aux hommes le même salaire pour un travail équivalent (World Economic Forum, 2015). Les écarts salariaux sont le reflet des vastes inégalités entre les femmes et les hommes sur le marché du travail et dans la société au sens large.

Il existe plusieurs définitions des écarts de salaires entre femmes et hommes :

  • Pour l’OCDE (2016), ceux ci sont définis « comme la différence entre le salaire médian des hommes et des femmes rapportée au salaire médian des hommes. Les données se rapportent aux salariés à plein temps ainsi qu’aux non-salariés. »
  • Pour l’Union Européenne (2014), « l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes correspond à la différence moyenne de rémunération horaire brute entre les travailleurs de sexe féminin et masculin ».

Résorber les écarts de salaire est considéré comme une priorité par les décideurs internationaux, à la fois parce qu’ils représentent une discrimination inacceptable du point de vue des droits humains mais aussi parce qu’ils sont néfastes pour l’économie. En effet, la faible rémunération des femmes constitue une trappe à pauvreté et ne permet pas aux entreprises d’utiliser efficacement les talents disponibles dans la société (Union Européenne, 2014).

Aperçu mondial en chiffres

Selon les dernières estimations de l’OIT (2016), les femmes à l’échelle mondiale gagneraient en moyenne 77% du salaire masculin.

En 2015, le salaire annuel moyen d’une femme était de 11 000$ contre 21 000$ pour un homme. Les femmes avaient ainsi 10 ans de retard par rapport aux rémunérations de leurs homologues masculins, puisque les hommes gagnaient en moyenne 11,000$ par an en 2006 (World Economic Forum, 2015).

Il existe d’importantes disparités selon les pays. Une étude de l’OIT portant sur un échantillon de 38 pays a établi que les salaires moyens des femmes sont inférieurs de 4% (en Suède) à 36%(aux États-Unis) à ceux des hommes (OIT, 2014). Les femmes de l’Union européenne perçoivent en moyenne un salaire horaire inférieur d’environ 16% à celui des hommes. En France, cet écart est de 15% (UE, 2014).

Ces disparités se retrouvent également dans les économies émergentes et en développement, où les écarts de salaire n’étaient pas nécessairement plus élevés que dans les pays de l’OCDE (OCDE, 2012). Ainsi au Rwanda, les femmes gagnaient 88% du salaire des hommes à travail égal contre 65% en Chine (World Economic Forum, 2015).

L’écart salarial est encore plus important pour les femmes aux revenus élevés. Dans les pays de l’OCDE, celles-ci gagnaient en 2010 21% de moins que leurs homologues masculins, contre 16% en moyenne sur l’ensemble de la population (OCDE, 2012).

Comprendre les causes des écarts salariaux

Les écarts salariaux persistent en dépit des progrès majeurs enregistrés par les femmes dans le secteur de l’éducation. En 2012, 83% en moyenne des jeunes femmes dans l’Union européenne étaient titulaires d’au moins un diplôme d’études secondaires, contre 77,6% de leurs homologues masculins (UE, 2014).

L’une des causes des écarts de salaire est que les femmes et les hommes travaillent souvent dans des secteurs différents. Dans les pays de l’OCDE, les services représentent 80% de l’emploi féminin contre 60% pour les hommes. En moyenne, une femme sur trois employée dans les services travaille dans la vente et l’hôtellerie-restauration. La santé et les services de proximité obtiennent les plus forts taux de féminisation (78%) suivis de l’enseignement (70%), avec d’importantes variations d’un pays à l’autre (OCDE, 2012). Or ces secteurs présentent des niveaux de salaires inférieurs à ceux proposés dans les secteurs à dominante masculine (OCDE, 2012; UE, 2014).

La maternité constitue également un facteur pénalisant pour les salaires des femmes, selon une étude de l’OIT (2014). Par exemple, au Mexique, les mères gagnent environ 33% de moins que les femmes sans enfant (OIT, 2014).

Plus généralement, la répartition inégale du travail domestique et des soins non rémunérés représente un facteur déterminant des inégalités salariales entre femmes et hommes. Les femmes gagnent 65% du salaire masculin lorsqu’elle passent deux fois plus de temps que les hommes sur les travaux domestiques, et 40% seulement lorsqu’elles y consacrent cinq fois plus de temps (Centre de développement de l’OCDE, 2014). Les normes sociales et culturelles de genre qui cantonnent la femme au foyer et font de l’homme le principal soutien de famille jouent un rôle important dans ces inégalités. Les femmes peuvent ainsi « choisir » de travailler à temps partiel ou dans le secteur informel afin pouvoir combiner plus facilement leur emploi avec leurs responsabilités familiales. Elles peuvent également privilégier la sécurité d’un emploi dans le secteur public avec des horaires réguliers, dans l’optique d’assurer un équilibre entre vie professionnelle et vie familiale (ONU Femmes, 2015).

Les tâches considérées comme typiquement féminines ont en outre tendance à être sous-évaluées. Par exemple les travaux physiques, généralement effectuées par des hommes, sont souvent appréciés de façon plus favorable que ceux effectués par des femmes. Une caissière de supermarché gagnera ainsi moins qu’un homme travaillant dans l’entrepôt du même magasin (UE, 2014).

Dans de nombreux pays, la législation restreint les professions que les femmes sont autorisées à exercer. En Russie, ces restrictions prennent la forme d’une liste de 456 métiers non-accessibles aux femmes. A l’origine conçues pour les protéger, ce type de mesures limite en fait leurs opportunités professionnelles (Banque mondiale, 2014).

Enfin, les écarts de salaire peuvent tout simplement être dus à des «discriminations directes», par lesquelles les femmes sont moins traitées favorablement que les hommes (UE, 2014 ; Maison Blanche, 2015). Selon la Présidence américaine (2015), ces écarts inexpliqués représenteraient 41% de l’écart salarial entre femmes et hommes aux États-Unis.

Implications pour les politiques publiques

De nombreux pays ont adopté des législations interdisant les écarts salariaux à travail égal : on peut notamment citer le “Equal Pay Act” aux Etats-Unis ou les dispositions introduites dans le code du travail français il y a plus d’un demi siècle (OECD Observer, 2015). Néanmoins, ces mesures n’ont pas suffi à résorber le fossé entre rémunérations féminines et masculines.

Parmi les différentes pistes proposées pour avancer sur l’égalité salariale, on peut retenir les suivantes:

  • Promouvoir des aménagements flexibles du temps de travail, utilisés de façon plus équitable aussi bien par les femmes que par les hommes, permettant à tous de concilier vie familiale et vie professionnelles (OCDE, 2012).
  • Généraliser l’accès à des services de gardes d’enfants à coût abordable, de sorte à limiter les pénalités de la maternité sur les carrières des femmes (OCDE, 2012). Le secteur privé peut également jouer un rôle, en proposant des services de garde d’enfant en entreprise ou inter-entreprises.
  • Transformer les normes sociales discriminantes qui poussent les femmes à prendre en charge l’essentiel des travaux domestiques au sein du foyer. Par exemple, le projet “Africare‘s Male Empowerment” au Zimbabwe cherche à faire évoluer les comportements et les normes de genre en augmentant l’implication des hommes dans les soins à domicile auprès des personnes vivant avec le SIDA en zone rurale (Centre de Développement de l’OCDE, 2014).
  • Faire connaître les lois sur l’égalité salariale et mieux les appliquer (OCDE, 2012).
  • Réviser les lois discriminantes pour les carrières des femmes. Par exemple, un projet de la Banque Européenne pour la reconstruction et le développement au Kazakhstan a permis de faire évoluer les régulations sur l’obtention de licences de chauffeur de bus, ouvrant ainsi cette profession à de nombreuses femmes (OCDE, 2015).
  • Améliorer l’accès des femmes à la formation afin de leur donner des chances égales de progression de carrière. Les domaines des sciences, des technologies de l’ingénierie et des mathématiques (STIM) peuvent être particulièrement porteur (voir l’article sur la ségrégation dans les filières d’éducation).
  • Développer des outils visant à rendre les systèmes de rémunération transparents et à détecter les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. La transparence des systèmes de rémunération a en effet été identifiée comme étant un facteur déterminant de l’égalité salariale (UE, 2014).

Références

Centre de Développement de l’OCDE (2014), Social Institutions and Gender Index. 2014 Synthesis Report, Editions OCDE, Paris,  www.genderindex.org/sites/default/files/docs/BrochureSIGI2015.pdf.

Centre de développement de l’OCDE (2015), SIGI Regional Report: Europe and Central Asia, http://www.oecd.org/dev/development-gender/SIGI-BrochureECA-2015-web.pdf

Centre de développement de l’OCDE (2014), Unpaid Care Work: The missing link in the analysis of gender gaps in labour outcomes, http://www.oecd.org/dev/development-gender/Unpaid_care_work.pdf

OCDE (2016), Écart salarial hommes-femmes (indicateur). doi: 10.1787/b64d7a8e-fr (Consulté le 18 mars 2016)

OCDE (2012), Inégalités hommes-femmes: Il est temps d’agir, OECD Publishing, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264179660-5-fr

OECD Observer (2015), Pay gap, No 302 Q1 2015, http://oecdobserver.org/news/fullstory.php/aid/4817/Pay_gap.html

OIT (2016), Les Femmes au Travail, Tendances 2016, http://www.ilo.org/gender/Informationresources/Publications/WCMS_457537/lang–fr/index.htm

OIT (2014), Rapport mondial sur les salaires 2014/15, http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_324655/lang–fr/index.htm

ONU Femmes (2015), Progress of the World’s Women 2015-2016, http://progress.unwomen.org/en/2015/pdf/UNW_progressreport.pdf

Union Européenne (2014), Éliminer l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes au sein de l’Union européenne, http://ec.europa.eu/justice/gender-equality/files/gender_pay_gap/140319_gpg_fr.pdf

White House (2015), Gender pay gap : recent trends and explanations, Council of Economic Advisers Issue Brief, April 2015, https://www.whitehouse.gov/sites/default/files/docs/equal_pay_issue_brief_final.pdf

World Economic Forum (2015), The Global Gender Gap Report 2015, http://reports.weforum.org/global-gender-gap-report-2015/

Voir également

Ségrégation professionnelle

Liens externes

Banque mondiale (2016), Mettre fin aux écarts de salaire entre les hommes et les femmes, http://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2016/02/19/breaking-the-gender-earnings-gap

Banque mondiale (2015), Women, Business and the Law 2016: Getting to Equal, http://wbl.worldbank.org/~/media/WBG/WBL/Documents/Reports/2016/Women-Business-and-the-Law-2016.pdf

 

 

 

 

 

]]>
https://www.wikigender.org/fr/wiki/ecarts-de-salaire-entre-femmes-et-hommes/feed/ 0